Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/127

Cette page a été validée par deux contributeurs.
123
REVUE. — CHRONIQUE.

et qu’il recule lui-même chaque fois qu’on lui propose de l’appliquer. Une fois aux affaires, ce parti cherche à se dissimuler à lui-même. Son chef se retire, en apparence, dans une spécialité modeste, dont il ne s’occupe guère en réalité. Les fonctions importantes des différens ministères sont, en apparence aussi, livrées à d’autres. Dès-lors toute la politique, tout le travail intérieur du parti consiste à placer ses membres du second degré, qu’on nous passe ce mot, en sentinelle près du pouvoir, et de diminuer, soit par la presse ou par des instigations continuelles, l’influence des ministres non doctrinaires que le parti a jugé nécessaire de s’adjoindre. Ce sont là les complications ingénieuses et méthodiques que le parti doctrinaire nomme l’art du gouvernement.

Hors du pouvoir, les doctrinaires se concentrent, vivent entre eux et dissimulent moins leurs principes, qui ne courent pas d’ailleurs les dangers de l’application. Leur tactique est alors celle de tous les partis. Ils ne se sont pas fait faute d’essayer de toutes les séductions, tandis qu’ils étaient aux affaires ; d’accorder à leurs soutiens, dans la presse, de colossales souscriptions littéraires ; de répandre parmi leurs amis des croix et des places ; et à chaque nomination, même à celles qui sont le plus méritées, ils s’écrient que tout est faveur et corruption. Ils n’ont jamais hésité de transiger avec toutes les opinions ; ils accusent leurs successeurs, quels qu’ils soient, de se recruter dans tous les rangs. Hors du pouvoir, le parti doctrinaire est donc un parti comme un autre. Il ne vaut ni plus, ni moins ; et là encore, il a une qualité qui le distingue : c’est l’unité et la discipline qui règne dans ses rangs. Nous en citerons un exemple tout nouveau.

Une réunion a eu lieu cette semaine, à l’effet de consolider l’existence du Journal de Paris. Cette réunion a été présidée par M. Guizot. Après avoir reconnu tous les services rendus au parti par cette feuille, il a été décidé qu’une souscription serait ouverte séance tenante, pour subvenir à ses besoins. Cette souscription, remplie, dit-on, par MM. Duchâtel, Jaubert, Duvergier de Hauranne, de Rémusat, Eynard de Genève, etc., s’est élevée à 300,000 fr. On parle d’espérances données aux souscripteurs, pour l’époque prochaine où la possession du pouvoir permettra d’assurer plus largement encore l’avenir de l’organe aujourd’hui officiel du parti. Enfin, en peu d’heures, toutes ces garanties ont été données, tous ces sacrifices consommés, avec un empressement et un zèle qui doivent donner à réfléchir.

Rien de mieux et rien de plus louable que d’assurer la défense et la propagation de ses opinions ; mais que deviennent toutes les dénégations du parti doctrinaire, qui se plaignait amèrement, durant le dernier ministère, des imprudences du Journal de Paris, et qui affectait de séparer ses principes de ceux de ce journal ? Que devient le reproche de calomnie adressé par le Journal des Débats à ceux qui jugeaient le parti doctrinaire d’après les articles que publiait le Journal de Paris, et qui se permettaient de supposer que M. Guizot et ses amis ne trouvaient pas suffisantes, pour l’exécution de leur système, les lois actuelles sur la presse et la liberté indivi-