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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

Thompson, pour honorer la mémoire de Newton ; on y trouve la première pensée, et, pour ainsi dire, l’accent de la belle épître à madame du Châtelet ; et on conçoit sans peine que, tout ému de ces funérailles de Newton, il ait jeté dans sa Henriade la magnifique explication du système du monde.

Vous voyez ce qu’apprenait Voltaire à l’école de l’imagination et de la philosophie anglaise. Londres était pour lui une Athènes un peu sérieuse, où il puisait la force et l’étendue des connaissances plutôt que le goût et la grace ; mais quel trésor d’idées et d’images s’ouvrait devant lui ! quel nouvel élan pour cet esprit si libre ! Il n’est presque aucun écrit de Voltaire, où l’on ne trouve la marque de ces trois années de séjour à Londres. Nulle part sa vie ne fut plus laborieuse, plus affranchie du monde, plus occupée de réflexions et d’études : « Je mène la vie d’un Rose-Croix, écrivait-il, toujours ambulant, toujours caché. » Son grand œuvre, c’était de former, d’exercer ce génie si varié, érudit, léger, historique, sceptique, dramatique, fait pour amuser et dominer l’Europe. Pas un moment perdu ; il refaisait la Henriade, tout en lisant Newton ; d’un entretien métaphysique de Bolingbroke, d’une lecture de Pope ou de Swift, il allait aux pièces de Shakspeare méditer ce pathétique terrible, qu’il appelait barbare, et dont il reporta l’émotion dans son élégant théâtre. Il étudiait, dans Milton et Butler, le sublime et le burlesque anglais, et méditait l’esprit encyclopédique dans Bacon. Il s’inquiétait peu du parlement, alors fermé au public ; mais parfois, quittant sa solitude de Wandsworth, il se glissait dans quelqu’une des réunions de sectaires, communes à Londres, et dont l’enthousiasme un peu bizarre amusait son incrédulité.

Au milieu de cette vie de poète et d’observateur, Voltaire entrevit avec joie l’occasion de rentrer en France. Sa moisson était faite. S’il aimait la liberté anglaise, il voulait la France pour y vivre, pour y être applaudi en dépit de la censure et de la Bastille. Un nouveau ministre, le jeune Maurepas, leva la défense qu’un caprice avait fait mettre ; et Voltaire accourut à Paris avec l’édition de la Henriade, et vingt projets d’ouvrages, rêvant ses Lettres philosophiques, ses Élémens de Newton, Brutus, Zaïre, la Mort de César, et tout le xviiie siècle.


Villemain.