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HISTOIRE LITTÉRAIRE.
blessures ! Que la mort est belle, quand elle est achetée par le courage ! Qui ne voudrait être ce jeune homme ? Quelle pitié que nous ne puissions mourir qu’une fois pour notre pays ! Pourquoi cette tristesse sur vos fronts, mes amis ? J’aurais rougi de honte, si la maison de Caton était demeurée entière et florissante en temps de guerre civile. Porcius, regarde ton frère, et souviens-toi que ta vie n’est pas à toi, quand Rome la demande. Hélas ! mes amis, pourquoi pleurez-vous ainsi ? Qu’une perte particulière n’afflige pas vos cœurs ; c’est Rome qui a droit à nos larmes. La maîtresse du monde, la nourrice des héros, le délice des dieux, celle qui a humilié les tyrans de la terre et affranchi les nations, Rome n’est plus ! Ô liberté ! ô vertu ! ô mon pays !

Vous devinez les applaudissemens qu’un auditoire anglais, ému d’orgueil et de patriotisme, à la fin de la guerre contre Louis XIV, au milieu de l’inquiétude nationale sur la succession protestante, devait prodiguer à ces beaux vers, qui ne sont pas tous fort vrais ; car Rome n’a jamais affranchi les peuples.

Un autre ordre de beautés, que le génie de Shakspeare avait devancé, mais dont l’effet dut être grand, c’était le monologue de Caton sur l’immortalité de l’ame, et cette délibération solennelle avant le suicide.

En tout, cette tragédie offrait, avec quelques beautés neuves, une imitation correcte, mais affaiblie, de la manière de Corneille. Conduite avec peu d’art, dans sa régularité, elle fut un effort remarquable, mais impuissant, pour changer la forme du théâtre anglais, une œuvre de critique, et non de fondateur. Elle ne fut pas inutile à Voltaire, pour le choix des ornemens qu’il a jetés dans ses pièces romaines, Brutus, Catilina, la Mort de César, Rome sauvée. Il en a même emprunté littéralement quelques beaux traits.

Ces vers de la Mort de César :

Nos imprudens aïeux n’ont vaincu que pour lui.
Ces dépouilles des rois, ce sceptre de la terre,
Six cents ans de vertus, de travaux et de guerre,
César jouit de tout, et dévore le fruit
Que six siècles de gloire à peine avaient produit.

ne rappellent-ils pas ceux-ci :
Tout ce que la vertu romaine avait conquis est à César. Pour lui, les