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REVUE. — CHRONIQUE.

le moment est venu de connaître la vérité. Dans peu de jours, le roi d’Angleterre aura cessé de vivre, et peut-être à cette heure la princesse Vittoria est déjà reine d’Angleterre. Ainsi les trois royaumes alliés à la France, en Europe, se trouveront gouvernés par trois reines, et un seul roi figurera dans le traité de la quadruple alliance. Un grand mouvement extérieur sera la conséquence naturelle de la mort de Guillaume IV. On peut se faire une idée de ce mouvement diplomatique en songeant qu’il s’agit de donner un mari à la princesse Vittoria, un roi à l’Angleterre, et de jeter ainsi le poids d’une immense influence dans la balance de l’équilibre européen. On ne doit pas oublier que le roi Léopold exerce une certaine influence près de la princesse, et qu’il a été déjà question d’un mariage avec un prince de Saxe-Cobourg. Une telle alliance rapprocherait encore la France de l’Angleterre, on doit le croire du moins, et les intérêts des deux peuples agiront encore plus puissamment que les alliances en cette occasion. Quoi qu’il en soit, l’avenir est gros de cet évènement ; de grands intérêts vont se retrouver en question, et jamais notre diplomatie n’aura eu besoin d’une main plus ferme et plus prudente pour la diriger, et d’agens plus capables pour accomplir les ordres qui leur seront donnés. C’est un avis que le ministère nous permettra de lui adresser.


— La Revue des deux Mondes et les écrivains qui y travaillent viennent de perdre un collaborateur qui était pour presque tous un ami. M. Fontaney, dont les piquans souvenirs sur l’Espagne, publiés sous le pseudonyme de lord Feeling, ne sont certainement pas oubliés, est mort, il y a peu de jours, âgé de trente-quatre ans environ, après une maladie de langueur qui pourtant ne faisait pas craindre une fin si prompte. M. Fontaney était un homme parfaitement distingué, dans le sens propre du mot, un de ces hommes auxquels il n’a manqué qu’une situation plus heureuse et plus élevée qui fit valoir en eux tous les mérites de l’esprit et du caractère. Dès 1827, il commença de se lier avec les écrivains et poètes de l’école nouvelle, vers laquelle l’attirait une vive inclination. Ami de Charles Nodier, de Victor Hugo et des autres, il jouissait surtout de comprendre, et ne s’exerçait lui-même que rarement, bien qu’avec distinction et sentiment toujours. Sa vocation, ce semble, si elle avait pu se développer naturellement, eût été le commerce des poètes, des artistes, parmi lesquels il n’aurait pris, à titre de poète lui-même, qu’une place modeste ; il se faisait de l’art une si haute idée, il avait un tel dédain du goût vulgaire, qu’il n’admettait guère les essais incomplets et qu’il ne voulait que les œuvres sûres. Ajoutez à cette noble qualité de l’esprit toutes les délicatesses et les fiertés de l’honnête homme et du gentleman, pour parler son langage de lord Feeling ; on comprendra quelles difficultés et quelles amertumes une telle nature dut rencontrer dans la vie. Il souffrit beaucoup. La révolution de juillet, qu’il épousa avec ardeur et dévouement à l’heure de la lutte, le laissa de côté et en dehors : de tels hommes pourtant auraient mérité d’être employés. Des fonctions vagues d’attaché à l’ambassade d’Espagne, sous M. d’Harcourt, ne lui procurèrent d’autre résultat qu’une première connaissance de ce pays, quelques amitiés qui lui restèrent, et d’ailleurs beaucoup de désappointemens personnels. Il n’eut jamais d’autres fonctions ; mais depuis,