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Le traité de paix signé par le général Bugeaud avec Abd-el-Kader, et les détails consignés dans la dépêche du général, ont occupé vivement les esprits. Deux opinions avaient été émises dans le conseil, au sujet de nos relations avec l’Afrique. Plusieurs ministres penchaient pour un plan qui consistait à semer la division parmi les chefs arabes ; deux d’entre eux, M. de Montalivet en particulier, étaient d’un avis contraire. Dans leur opinion, il fallait donner à Abd-el-Kader les moyens de conserver son influence en se réservant de le dominer ; il fallait profiter de son ambition pour organiser les Arabes, et les agglomérer au lieu de favoriser, par la guerre de montagnes, la facilité qu’ils ont à s’éparpiller et à échapper à toute domination. Abd-el-Kader, devenu sultan par le traité, s’il est ratifié, de chef subalterne qu’il était, donne, on ne peut le nier, une vaste carrière à son ambition. Cette ambition va plus loin, dit-on ; Abd-el-Kader voudrait arriver à se faire empereur du Maroc, et dans les deux prières obligées que font les Arabes, l’une pour le roi de Maroc, l’autre pour le grand-seigneur, le nom d’Abd-el-Kader a déjà remplacé, dans les tribus qu’il domine, celui du premier de ces princes. La faible organisation physique de ce chef fait qu’il cherche à s’assurer une domination civile, et le traité qu’il propose tend à lui créer des intérêts conformes aux nôtres. Il est vrai que le territoire de la régence que nous occupons se trouvera restreint par ce traité ; mais il est possible que la ratification ne soit accordée qu’à de certaines conditions qui rendraient cette cession presque nominative. Abd-el-Kader s’engage déjà à payer un premier tribut considérable, et la souveraineté de la France se trouverait tout-à-fait établie, si on lui imposait, en outre, un tribut annuel.

Si ce traité s’accomplit tel que la dignité de la France l’exige, le ministère actuel aura encore résolu une des difficultés qui lui avaient été léguées par le dernier cabinet, difficultés qui étaient nombreuses et grandes, et que le petit ministère, comme le nommaient les orateurs du parti doctrinaire, qui mettent tout le gouvernement dans les discours de tribune, a soulevées sans trop de peine. L’amnistie a été faite, le roi délivré des précautions qui l’entouraient, le mariage de M. le duc d’Orléans accompli ; la colonie d’Alger aura été pacifiée, si elle peut l’être honorablement ; la tranquillité publique aura été conservée, consolidée même, au milieu de la plus grande crise commerciale ; en deux mois toute la face des affaires aura été changée, l’impopularité du pouvoir effacée, l’acrimonie de la discussion, les menaces, les sinistres prédictions oubliées, l’action substituée partout à la parole, et tout cela par le ministère sans nom, par le ministère provisoire, par le petit ministère, qu’on ne souffrait que par pitié. Que l’on compare la situation actuelle à la situation des affaires il y a deux mois, et qu’on nous dise si nous avions tort d’insister sur la nécessité d’unir M. Molé à M. de Montalivet, et de les isoler du parti doctrinaire !

Toutes les nouvelles que nous recevions de Londres depuis quinze jours, nous faisaient connaître la gravité de la maladie du roi d’Angleterre. Les membres du parti tory, entourant son lit de mort, ont eu beau cacher les progrès de sa maladie, et les journaux anglais se piquer de loyalty, en ne publiant pas les nouvelles alarmantes qui transpiraient de temps en temps ;