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combien il avait aimé cette fille morte à vingt ans ; et, quand je rentrai chez moi, je relus ces vers qu’il avait écrits :

« Au nom du Seigneur ! que ta volonté, ô mon Dieu ! s’accomplisse. Tu veux adoucir mes regrets, soulager ma douleur. Bientôt reparaîtra un frais et beau printemps ; mais jamais, jamais je ne reverrai mon enfant bien-aimé ; jamais aucune rose ne fleurira pour ma Charlotte, car elle repose dans le tombeau !

« Quand tu mourus, tes amies tressèrent des couronnes de fleurs ; on mit des bouquets de fleurs dans ta main, on enlaça des fleurs dans tes cheveux ; elles furent ensevelies avec toi. Elles descendirent avec toi dans la tombe de la jeunesse.

« Toutes ne sont pas pourtant enfouies dans la terre ; il en est qui surgissent encore sur ton cercueil, vives et riantes comme l’espérance. Non, ô ma fille chérie ! Les liens de la mort ne t’enchaînent pas ; tu planes au-dessus de ce monde comme un ange de lumière, et, quand l’obscurité du soir enveloppe la terre, tu reviens me visiter avec des chants célestes. »

Adam Œhlenschlœger est né le 16 novembre 1779. Son père était un organiste fort honnête et intelligent. Il fut nommé, en 1780, maître de chapelle et gardien du château ; mais ces deux fonctions étaient mal rétribuées, et il resta pauvre comme auparavant. Comme il n’était ni en état de prendre un précepteur pour son fils, ni même de le mettre en pension à Copenhague, il l’envoya à l’école chez une vieille femme, qui lui enseigna, d’une rude façon, le premier élément de la science, c’est-à-dire l’alphabet. Quand Œhlenschlœger avait souffert tout le jour les mauvais traitemens de son dur pédagogue, c’était pour lui une grande joie de s’en revenir par les longues avenues de Frederiksberg, et de retrouver les caresses de sa jeune sœur, le regard affectueux de sa mère, et la douce vie de famille dans le royal château.

Il y avait deux époques de l’année où le château changeait complètement d’aspect. Avec les rayons du soleil, avec la verdure et les fleurs du mois de mai, on voyait arriver les équipages de princes, les chars dorés ; et, pendant toute la belle saison, ce n’étaient que fêtes et chasses dans le parc, et tout le bruit, l’éclat, les caprices d’une cour. Une fois l’hiver venu, tout disparaissait comme par enchantement. « Alors, dit Œhlenschlœger, nous restions seuls dans le vaste château avec deux gardiens et deux grands