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LE SALON DU ROI.

Malheureusement il est bien rare que les artistes de nos jours puissent ressentir la joie dont nous parlons ; il est bien rare qu’ils puissent consacrer plusieurs années à l’achèvement d’un poème unique, car les travaux de peinture et de statuaire se distribuent par miettes. À voir la liste innombrable des noms obscurs entre lesquels se partagent les palais et les églises, on serait tenté de croire que le ministère et la liste civile considèrent l’emploi des fonds dont ils disposent comme un devoir de charité. Quand il s’agit de décorer un monument, le ministère paraît moins préoccupé de la grandeur de la tâche que de la nécessité de la diviser. Il ne se demande pas si les hommes qu’il choisit sont capables de la remplir, mais il grossit le chiffre des élus comme si chacune des unités qu’il ajoute devait lui compter pour une aumône. Il est juste d’avouer que l’opinion publique encourage cette conduite singulière. Tous les hommes qui manient le ciseau ou le pinceau croient avoir des droits sur les monumens de la France. Les exclure de la décoration d’une église, c’est commettre une injustice ; c’est méconnaître, disent-ils, les promesses de la constitution. Par cela seul qu’ils peignent ou qu’ils s’imaginent peindre, ils ont une part nécessaire dans la décoration des monumens. S’ils n’obtiennent pas une chapelle, ils s’en vont criant partout que nous touchons au rétablissement des priviléges. Étrange manière de comprendre les promesses de la constitution ! À les entendre, la décoration des monumens et l’exercice des emplois publics appartiennent non pas aux plus capables, mais à tous. Si cette explication était admise, chacun pourrait à son gré se proclamer législateur ou magistrat, et la société serait obligée de ratifier l’affirmation de chacun. Les tribunaux et les chambres n’appartiendraient plus à l’étude, au savoir, mais à tous indistinctement. Nous n’exagérons rien, nous nous bornons à déduire et à formuler les conséquences du principe admis ; car ce principe n’est pas soutenu seulement par les parties intéressées, par les artistes et par leurs familles ; mais la bourgeoisie, qui paie et qui regarde les monumens, ne comprend pas l’aristocratie du talent, et considère le partage des travaux de peinture et de statuaire comme un corollaire de la constitution.

Cette distribution éléémosynaire des murailles de nos monumens a porté ses fruits. L’administration, encouragée par l’opinion