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mais ce n’est pas une raison pour la taire ; loin de là. D’ailleurs M. Delacroix occupe aujourd’hui un rang assez élevé pour se passer d’indulgence. La critique doit réserver ses ménagemens et ses réticences pour les jeunes gens qui débutent ; aux hommes éprouvés déjà par des œuvres nombreuses, elle doit la vérité tout entière.

L’Industrie offre à l’œil et à la pensée la même richesse, la même harmonie, la même variété que l’Agriculture. D’un côté les perles et le corail, de l’autre la soie et les mille métamorphoses qu’elle subit, avant de servir à l’ornement de nos fêtes. Pour présenter l’industrie sous une forme si riante, il faut non-seulement une puissante invention, mais encore un oubli bien complet de la réalité mesquine au milieu de laquelle nous vivons. Un homme vulgaire aurait transporté sur la muraille la copie fidèle d’un atelier de Lyon ; il aurait dessiné, avec une littéralité scrupuleuse, les métiers qui s’emparent de la soie pour la changer en velours ou en satin ; M. Delacroix comprend trop bien non-seulement la partie technique, mais encore la partie poétique de la peinture, pour tomber dans une pareille erreur. Il ne croit pas, et nous l’en félicitons, que le procès-verbal appartienne au pinceau ; il n’a jamais tenté de s’enrôler parmi les greffiers, et il comprend que la peinture allégorique, moins que tout autre genre de peinture, peut se passer d’idéalité. En choisissant, pour figurer l’industrie, le corail, la perle, le mûrier, la soie et le fuseau, il n’a fait que suivre la pente naturelle de sa pensée ; pour trouver la seule beauté qui convînt au sujet, il n’a pas eu à violer ses habitudes, il s’est contenté de traiter l’allégorie comme il avait traité l’histoire et la passion, en interprétant le thème qu’il avait choisi. Or, il est difficile de rêver une simplification plus heureuse. Toutes les têtes sont conçues et rendues avec une remarquable finesse ; tous les mouvemens sont clairs et précis ; tous les ajustemens ont de la souplesse et de la grace ; la chair et l’étoffe se marient simplement ; aucun ton criard, aucune ligne singulière ne détourne l’attention des personnages ; l’action s’explique d’elle-même, et n’a besoin d’aucun commentaire ; combien y a-t-il de tableaux allégoriques ou historiques dont nous puissions en dire autant ? Je regrette que le pied droit d’une fileuse placée à la droite du spectateur ne réponde pas à la correction générale de cette composition. La partie dorsale du pied dont je parle est modelée de telle sorte, que la fileuse ne