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guerre au dessus de la justice. Le reproche que nous adressons à la figure enchaînée est loin d’avoir la même gravité que celui que nous avons adressé à l’ange vengeur. Que la composition de la guerre soit postérieure ou antérieure à la composition de la justice, peu importe ; l’une des deux nous semble supérieure à l’autre ; nos informations ne nous permettent pas de dire qu’il y ait progrès dans celle que nous préférons ; pourtant nous inclinons à penser que la justice a été peinte avant la guerre.

Il pourra paraître singulier à quelques lecteurs que nous examinions figure par figure tous les détails du Salon du Roi ; mais nous avons deux raisons pour suivre cette méthode. La première se rapporte à l’importance des sujets traités, la seconde au mérite éminent de l’artiste à qui ces sujets ont été confiés. Nous n’avons jamais cru, nous ne croirons jamais que la critique soit capable d’agir directement sur les inventeurs ; mais les inventeurs, aussi bien que les hommes d’état, sont obligés, sinon d’écouter, du moins d’entendre la voix publique ; et comme la foule juge volontiers les évènemens et les œuvres d’après ses premières impressions, qui, la plupart du temps, sont et demeurent confuses, le devoir des hommes studieux est d’éclairer par une analyse patiente l’ordre d’idées qu’ils ont choisi comme objet spécial d’investigations. S’ils réussissent à présenter sous une forme populaire les remarques suggérées par une attention persévérante, ils agissent nécessairement sur la masse des lecteurs, qui, à son tour, agira sur les hommes d’état ou sur les inventeurs. C’est à ces proportions qu’il faut réduire l’action de la critique. Espérer une action plus directe serait folie ou forfanterie. Mais réduite à ces proportions, la tâche de la critique est encore digne d’occuper les intelligences sérieuses. Lorsqu’il s’agit d’un talent original et volontaire comme M. Delacroix, l’intérêt de la vérité s’accroît de tout l’intérêt qui s’attache à l’artiste lui-même. Et puisque la presse dépense des milliers de paroles pour des romans du troisième ordre, pour des pièces qui n’appartiennent ni de loin ni de près à la littérature, la justice veut qu’un homme, recommandé à l’admiration publique par des œuvres nombreuses et variées, rencontre dans ses juges une attention patiente. Si notre exemple trouvait des imitateurs, si, au lieu de signaler les beaux tableaux et les belles statues, les écrivains didactiques s’appliquaient à les décomposer, à les inter-