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l’intelligence de concevoir ces attitudes ; mais la science, pas plus que la réalité, ne peut accepter la ligne décrite par la jambe de l’ange vengeur dont je parle. Je sais que le peintre était singulièrement gêné par l’espace ; mais cette excuse, qui n’est pas sans valeur, ne le justifie pas complètement. L’espace étant donné, il ne devait se proposer que l’expression d’un mouvement possible dans l’espace accordé. L’élément sur lequel agissait la volonté étant immuable, c’était à la volonté de se modifier pour triompher de l’obstacle.

Toutefois, malgré cette faute que nous croyons utile de signaler, cette seconde partie de la composition n’est pas indigne de la première et la complète heureusement. D’ailleurs la richesse des tons employés par l’auteur atténue beaucoup l’incorrection que je reproche à l’ange vengeur. La figure allégorique de la justice, la législation et l’application de la loi forment un grand et beau poème.

La guerre semblait inviter M. Delacroix à déployer les ressources ordinaires de son talent énergique ; habitué dès long-temps à l’expression des passions violentes, il pouvait, en n’écoutant que ses instincts, figurer la guerre par des groupes animés, par des masses d’une vivacité toute militaire. Décidé à se continuer lui même sans se renouveler, je ne doute pas qu’il n’eût produit un ouvrage très remarquable ; mais heureusement il n’a pas pris son parti à l’étourdie : il a réfléchi long-temps avant d’arrêter l’intention et les lignes de sa composition ; il s’est éclairé patiemment par une méditation désintéressée, et il a fidèlement accompli ce que l’évidence lui prescrivait. Il a compris qu’il ne s’agissait pas de dramatiser la guerre, mais bien de l’expliquer par des groupes qui en marquent les différens momens, les significations diverses ; quoique cette face du sujet ne parût pas convenir aux procédés habituels de son pinceau, il ne s’est pas découragé, et il a plié devant la vérité. Pour notre part, nous le félicitons sincèrement de cette résolution. La composition de la guerre, comme celle de la justice, se divise en trois parties, une figure allégorique et deux groupes explicatifs. La figure allégorique de la guerre est posée plus naturellement que celle de la justice. La ligne des contours est à la fois plus pure et plus simple. Le drapeau placé dans la main de la guerre exprime nettement le rôle de la figure ; la tête est d’un beau caractère, et n’a rien de hautain, ce qui est un grand bonheur ; car la peinture allégorique, lors même qu’elle se propose