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LE SALON DU ROI.

M. Delacroix, ne rappelle pas les compositions à l’aide desquelles nous sommes habitués à la voir figurée, cependant l’hésitation est impossible. Le premier regard pénètre le sens de l’action, et la nouveauté des personnages ne permet pas un instant de doute sur le rôle qui leur est assigné. Quand l’invention se produit sous une forme aussi claire et rajeunit si naturellement l’expression des idées générales, il y aurait plus que de l’injustice à lui reprocher sa hardiesse, il y aurait de la niaiserie. Une pareille accusation n’irait pas à moins qu’à réduire toute la peinture allégorique à deux élémens, la mémoire et le plagiat ; en d’autres termes, ce serait bannir de la peinture allégorique l’action de la volonté. Or, quelle que soit l’admiration d’un artiste éminent pour ses devanciers, il ne peut se résigner au rôle de plagiaire. Une doctrine contraire à celle que je professe régit aujourd’hui l’architecture ; les professeurs des Petits-Augustins enseignent que la seule nouveauté permise aux monumens futurs consiste dans la combinaison, ou plutôt dans la juxtaposition de morceaux connus. Mais le jour où l’architecture se réveillera, l’enseignement des Petits-Augustins, du moins celui qui se rapporte à la partie esthétique, ne sera plus qu’un objet de risée.

L’action de la loi, telle que l’a figurée M. Delacroix, se distingue surtout par l’énergie. La fuite des coupables, poursuivis par la loi vengeresse, est traduite avec une grande vigueur de pinceau. Quant à l’ange aux ailes déployées, il est permis, sans se montrer trop sévère, de chicaner l’auteur sur le mouvement de cette figure. Quelle que soit la souplesse attribuée aux personnages surnaturels, du moment que ces personnages se présentent à nous sous la forme humaine, nous sommes en droit de leur demander des mouvemens humainement possibles. Or, la ligne de la jambe que nous apercevons n’est pas conciliable avec le plan selon lequel se meut le corps de la figure. S’il s’agissait d’un ange de pur ornement, comme il s’en trouve plusieurs entre les pendentifs de la Sixtine, nous ferions bon marché de cette objection ; nous comprendrions que le peintre eût imaginé un mouvement réellement impossible, pourvu toutefois que ce mouvement fût scientifiquement intelligible. Mais ici la science et la réalité se réunissent pour plaider contre M. Delacroix. Lorsqu’il arrive à Michel-Ange d’inventer des attitudes sans exemple, il n’est jamais défendu à