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ou impuissantes, et les remplacent par des lois plus sages, il faut que l’opinion protége, par son indignation unanime, la propriété que le droit écrit ne protége pas. À l’heure où nous écrivons, la mutilation de la Bataille de Taillebourg est consommée ; mais cette mutilation, une fois dénoncée, ne pourra pas se répéter. Malgré le dédain avec lequel M. Fontaine envisage tout ce qui ne relève pas directement de l’équerre et de la truelle, il sera bien forcé de plier devant la volonté de la multitude. L’intendant de la liste civile, averti par la clameur publique, ne lui permettra pas de renouveler ce scandale. Le mal est irréparable ; mais il est utile, il est indispensable d’appeler tous les regards sur le mal déjà fait pour empêcher le mal qui pourrait se faire, qui deviendrait inévitable si la presse se résignait au silence.

La décoration du Salon du Roi, heureusement soustraite au gouvernement militaire de M. Fontaine, donne un éclatant démenti aux détracteurs de M. Delacroix. Il ne sera plus permis désormais de refuser à cet artiste éminent la grace et l’élévation du style. Ceux qui ne pouvaient contester l’animation et l’énergie du Massacre de Scio et de l’Evêgue de Liége, qui étaient forcés de reconnaître dans la Mort de Sardanapale et la Barricade de Juillet, l’abondance et la vérité, mais qui s’obstinaient à nier chez l’auteur l’intelligence des grands maîtres italiens, ont aujourd’hui perdu leur cause. Déjà les Femmes d’Alger et le Saint Sébastien avaient prouvé à tous les yeux clairvoyans que M. Delacroix ne s’enfermait pas sans retour dans l’école flamande, et qu’il appréciait le Véronèse et Titien, aussi bien que Rubens et Rembrandt ; le Salon du Roi confirmera les croyances qui n’étaient encore qu’à l’état d’induction. Pour notre part, bien que notre conviction à cet égard fût déjà pleinement formée, nous nous réjouissons de voir tous les doutes victorieusement résolus par le Salon du Roi ; car, non-seulement ces nouvelles peintures de M. Delacroix offrent une série, un ensemble de belles œuvres ; mais elles renferment une leçon qui ne restera pas sans fruit. Elles enseignent que les talens vraiment actifs, vraiment originaux, se renouvellent et s’agrandissent par la diversité des tâches qu’ils se proposent ou qu’ils acceptent. Pour des talens de cet ordre, le cercle où se déploie leur volonté s’élargit incessamment. Ils traversent impunément tous les âges et toutes les écoles ; ils ne perdent jamais leur