Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/754

Cette page a été validée par deux contributeurs.
744
REVUE DES DEUX MONDES.

la forme de lions, d’ours, de rhinocéros, de tigres, d’éléphans, de bœufs, de chevaux, de chiens, de porcs et de singes ; on en voyait qui avaient des têtes d’animaux sur des corps humains, d’autres qui avaient des corps de serpens venimeux, et des têtes de tortue à six yeux ; il y en avait à plusieurs têtes, avec des dents et des griffes crochues ; ils portaient des montagnes sur le dos, faisaient sortir de leur bouche du feu, des tonnerres et des éclairs. » Ne dirait-on pas que Fa-Hian connaissait Callot !

Enfin la mort de Bouddha, c’est-à-dire son absorption dans l’essence absolue ou le vide infini, est une circonstance dont le souvenir revient plusieurs fois dans le récit de Fa-Hian, dont la légende s’est emparée, qu’elle a entouré de merveilleux et de poésie, enfin que l’art a reçu de ses mains, et a traité à son tour avec un certain grandiose peu ordinaire en ces contrées. J’ai vu à Leyde le tableau japonais de la mort de Bouddha, dont M. Siebold a donné la gravure dans son ouvrage sur le Japon, et j’ai été frappé du caractère de majestueuse tristesse, de recueillement douloureux, empreint sur toute cette composition, dans laquelle les dieux, les hommes, les animaux, la nature entière, entourent d’un deuil universel le cadavre du sauveur des mondes.

Tous les pays où le bouddhisme s’est établi, offrent des traces de la présence de son divin fondateur et des merveilles qu’il a opérées. L’on montre l’empreinte de son pied dans une foule de lieux ; la plus célèbre est celle de Ceylan, où des chrétiens peu éclairés ont cru voir un vestige de la présence d’Adam. Souvent ces traditions locales sont extrêmement puériles[1] ; mais il en est aussi de touchantes, il en est qui expriment d’une manière naïve le sentiment d’humanité, qui est le plus beau trait de la morale bouddhique et de la vie légendaire de Bouddha.

Ainsi, sans être un pélerin croyant comme Fa-Hian, on pourrait être ému en voyant le lieu où Bouddha, fuyant ses ennemis et abandonnant son royaume, trouva un pauvre brahmane qui demandait l’aumône. Ayant perdu son royaume et son rang, n’ayant plus rien, il commanda qu’on le liât lui-même et qu’on le livrât au roi son ennemi, afin que l’argent qu’on donnerait pour lui servît d’aumône.

  1. Telle est celle de l’ermite du grand arbre, qui maudit quatre-vingt-dix neuf femmes, lesquelles au même moment devinrent toutes bossues.