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ces paroles : « Depuis que Fa-Hian avait quitté la terre de Han (la Chine), plusieurs années s’étaient écoulées. Les gens avec lesquels il avait des rapports étaient tous des hommes de contrées étrangères. Les montagnes, les rivières, les arbres, les herbes, tout ce qui avait frappé ses yeux était nouveau pour lui. De plus, ceux qui avaient fait route avec lui s’en étaient séparés, les uns s’étant arrêtés, les autres étant morts. En réfléchissant au passé, son cœur était toujours plein de pensées et de tristesse. Tout à coup, à côté de cette figure de Jade (une idole bouddhique), il vit un homme qui faisait hommage à la statue d’un éventail blanc du pays de Tsin (sa province natale) ; sans qu’on s’en aperçût, cela lui causa une émotion telle que ses larmes coulèrent et remplirent ses yeux. »

Ailleurs, le pélerin bouddhiste raconte quelles furent ses transes pendant une tempête qui le surprit après son départ de Ceylan. Il craignait surtout que les marchands sur le navire desquels il faisait route vers sa patrie, ne jetassent à la mer ses livres sanscrits, qu’il avait mis plusieurs années à recueillir et à copier, ainsi que les saintes images qu’il rapportait. Il priait dévotement Bouddha de faire revenir vivans dans la terre de Han tous les religieux. Cet oubli des laïques dans ses vœux de délivrance sent quelque peu le moine. Une autre fois il faillit être lui-même victime de l’esprit de secte. Il se trouvait sur un vaisseau rempli de brahmanes. Ceux-ci se dirent entre eux : « C’est le séjour de ce samanéen[1] sur notre bord qui nous a attiré ce malheur ; il faut débarquer ce mendiant sur le rivage d’une île ; il ne convient pas que, pour un seul homme, nous soyons exposés à de tels dangers. » Combien de fois des matelots italiens ou espagnols ont manifesté dans une tempête le même sentiment à l’égard d’un passager protestant !

Enfin, le religieux voyageur rentra dans son pays après avoir accompli son pénible et curieux voyage. « En récapitulant ce que j’ai éprouvé, dit-il vers la fin de sa relation, mon cœur s’émeut involontairement ; les sueurs qui ont coulé dans mes périls ne sont pas le sujet de cette émotion. Ce corps a été conservé par les sentimens qui m’animaient. C’est mon but qui m’a fait exposer ma vie

  1. Samanéen, sectateur de Bouddha, sectateur de Foë, sont synonymes.