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par exemple, en dirait si elle le savait ? Et lui-même, qu’en pensera-t-il ? Bon ! il rira peut-être du mystère, mais il ne rira pas du cadeau. Pourquoi ce mystère, en effet ? Je ne sais ; il me semble que je n’aurais pas travaillé de si bon cœur devant lui ; cela aurait eu l’air de lui dire : « Voyez comme je pense à vous ; » cela ressemblerait à un reproche ; tandis qu’en lui montrant mon petit travail fini, ce sera lui qui se dira que j’ai pensé à lui.

LE DOMESTIQUE, rentrant.

On apporte cela à madame de chez le bijoutier.

(Il donne un petit paquet à Mathilde.)
MATHILDE.

Enfin ! (Elle se rasseoit.) Quand M. de Chavigny viendra, prévenez-moi. (Le domestique sort.) Nous allons donc, ma chère petite bourse, vous faire votre dernière toilette. Voyons si vous serez coquette avec ces glands-là ? Pas mal. Comment serez-vous reçue, maintenant ? Direz-vous tout le plaisir qu’on a eu à vous faire, tout le soin qu’on a pris de votre petite personne ? On ne s’attend pas à vous, mademoiselle. On n’a voulu vous montrer que dans tous vos atours. Aurez-vous un baiser pour votre peine ? (Elle baise sa bourse, et s’arrête.) Pauvre petite ! tu ne vaux pas grand’chose ; on ne te vendrait pas deux louis. Comment se fait-il qu’il me semble triste de me séparer de toi ? N’as-tu pas été commencée pour être finie le plus vite possible ? Ah ! tu as été commencée plus gaiement que je ne t’achève. Il n’y a pourtant que quinze jours de cela ; que quinze jours, est-ce possible ? Non, pas davantage, et que de choses en quinze jours ! Arrivons-nous trop tard, petite ?… Pourquoi de telles idées ? On vient, je crois ; c’est lui ; il m’aime encore.

UN DOMESTIQUE, entrant.

Voilà M. le comte, madame.

MATHILDE.

Ah ! mon Dieu ! je n’ai mis qu’un gland et j’ai oublié l’autre. Sotte que je suis ! Je ne pourrai pas encore lui donner aujourd’hui ! Qu’il attende un instant, une minute, au salon ; vite, avant qu’il n’entre…

LE DOMESTIQUE.

Le voilà, madame, (Il sort. Mathilde cache sa bourse.)


Scène ii.


MATHILDE, CHAVIGNY.
CHAVIGNY.

Bonsoir, ma chère ; est-ce que je vous dérange ? (Il s’asseoit.)