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dans Thèbes, remplacent bien faiblement ces sublimes beautés. Dans la seconde scène, il est vrai, Voltaire a conservé quelques traces du chœur ; mais au lieu des longues et touchantes prières, il met dans sa bouche une sorte de désespoir et de défi tout-à-fait étranger au génie antique

Frappez, Dieu tout-puissant ! vos victimes sont prêtes :
Ô mont, écrasez-nous ! cieux, tombez sur nos têtes ! etc.

Puis Œdipe tient une assemblée du peuple, comme dans Sophocle ; seulement, ce qui aurait bien étonné les Grecs, il a près de lui, dans cette assemblée, la reine Jocaste, qui prend la parole devant le peuple, Jocaste, pour laquelle Philoctète nous a fait connaître ses feux dans la première scène. Certes, sans parler même de la couleur locale, Sophocle avait fait preuve d’un art plus délicat, en ne montrant Jocaste que tard, et peu de temps sur la scène.

Dans la tragédie grecque, dès que l’affreux mystère est soupçonné d’Œdipe, Jocaste disparaît ; et, de scène en scène, on apprend sa solitude désespérée, ses gémissemens, sa mort ; mais on ne la voit plus. Le poète, qui ne craint pas d’étaler sur la scène le spectacle de la souffrance physique, a cru cette horreur morale trop forte, et l’a soustraite aux yeux. Dans la tragédie française, au contraire, Jocaste est partout : elle parle au peuple ; elle s’entretient avec une confidente ; elle écoute une redite d’amour du prince Philoctète ; elle lui donne rendez-vous pour une seconde explication, quand il est accusé, et le défend avec ce reste d’intérêt que laisse un ancien amour. Quand le grand-prêtre a désigné Œdipe, elle assiste en tiers à l’entretien de Philoctète et d’Œdipe ; enfin, après les scènes de confidence entre les deux époux, si bien imitées de Sophocle, elle reparaît encore sur la scène ; elle parle de son fils :

Ne plaignez que mon fils, puisqu’il respire encore.

Elle y prononce, en se donnant la mort, les derniers mots du drame :

Au milieu des horreurs dont le destin m’opprime,
J’ai fait rougir les dieux qui m’ont forcée au crime.

Pensée dans le goût de Lucain, bien éloigné de la simplicité du