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sultan n’y a rien gagné. L’année dernière, l’expédition de Tripoli, et surtout l’humeur belliqueuse, le caractère indiscipliné du grand amiral Tahir-Pacha, ont inquiété la France. On craignait avec assez de raison quelque intelligence secrète du capitan pacha avec le dey de Tunis, et par suite avec Achmet, bey de Constantine. C’est ce qui a provoqué, sous le ministère de M. Thiers, l’envoi d’une escadre, commandée par l’amiral Hugon, dans cette partie de la Méditerranée, à titre de démonstration éclatante contre les vues supposées de la Porte ottomane. Puis Tahir-Pacha, se livrant à sa haine pour les chrétiens, a entravé de mille façons odieuses les relations commerciales de la France et de l’Angleterre avec la régence de Tripoli. Il en est résulté des réclamations et des plaintes nombreuses, auxquelles le divan n’a fait droit qu’à la dernière extrémité, en révoquant Tahir-Pacha, dont il ne pouvait se faire obéir. Le nouveau gouverneur de Tripoli aura sans doute reçu des instructions différentes, et son caractère permet d’espérer qu’il s’y conformera. Mais en recouvrant cette régence, la Porte se sera créé, sans autre compensation qu’un mince revenu, des embarras, des charges, une responsabilité, dont elle peut dès maintenant apprécier toute la pesanteur.

La campagne du Kourdistan, malgré les prétendues victoires de Reschid, a eu moins de résultats encore. Il sera toujours très difficile, sinon impossible, de soumettre à une autorité régulière, par des forces étrangères et venues de loin, un peuple nombreux et brave qui habite des montagnes inaccessibles, une population nomade qui n’a point de villes, et qui a fort peu d’intérêts attachés au sol. Le chef kourde, Revenduz-Bey, qui n’a pas été vaincu, mais qui s’est rendu, par scrupule de religion, au successeur des califes, et dont les trésors, seul fruit réel de la campagne, ont été envoyés à Constantinople, n’était pas un rebelle, parce que les tribus turcomanes ou kourdes du Diarbekir et de toute cette frontière n’ont jamais appartenu positivement à personne. Il avait réussi, comme l’Arabe Dâher en Syrie, vers 1770, comme le fondateur de la puissance des Wahabites en Arabie, à se créer une espèce de principauté, en réunissant autour de lui un certain nombre de tribus, qui s’étaient volontairement ou non soumises à son autorité, et parmi lesquelles il avait établi une apparence d’ordre. En s’affermissant, cet état de choses, que la Porte a maladroite-