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SITUATION DE L’ORIENT.

vieux seraskier, « créateur et administrateur du Nizam, » avait toujours été heureux dans le cours de sa longue carrière ; et l’opinion des peuples confondait involontairement son bonheur personnel avec le succès de la cause de la réforme. Reschid-Pacha ; homme d’une autre trempe et d’un caractère bien plus élevé, avait au contraire été souvent malheureux, plus souvent, il est vrai, par la faute du divan que par la sienne ; mais il comptait de belles pages dans son histoire ; il avait rendu de grands services à son pays dans les temps les plus difficiles, et son énergie, son courage, inspiraient à l’armée une juste confiance.

L’armée turque aurait donc besoin d’être renforcée, et il paraît qu’en dernier lieu le gouvernement de la Porte avait pensé à ordonner un recrutement général. Mais après les énormes ravages de la peste dans la population musulmane, on n’a pas osé aborder cette grande mesure, et c’est alors que la pensée d’un appel à la population chrétienne s’est représentée de nouveau, et a soulevé de nouveau les craintes qui l’ont toujours fait rejeter. Pour ne rien dissimuler, il faut dire que des hommes éclairés et en position d’en bien juger verraient dans son exécution la source d’immenses dangers. Mais ils reconnaissent en même temps que la population musulmane est trop épuisée pour supporter une conscription, de sorte qu’on se trouve entre deux impossibilités, sans autre alternative que l’aggravation d’un état de faiblesse et de marasme, qui présente aussi de fort grands périls. Quant à l’introduction des rayas dans l’armée, quelques difficultés qu’elle puisse offrir, on croit néanmoins que Mehemet-Ali l’aurait essayée, si, en 1833, Ibrahim-Pacha avait poussé sa marche victorieuse jusqu’à Constantinople. Au reste, quoi qu’il en soit de cette question, si l’armée du sultan ne peut être, dans les circonstances actuelles, sûrement et efficacement renforcée d’aucune manière, la conclusion à laquelle nous voulons arriver n’en sera que plus irrésistible.

Depuis le rétablissement de la paix entre Mehemet-Ali et le sultan, celui-ci s’est laissé entraîner par des conseils intéressés à des entreprises dispendieuses et mal calculées, dont l’esprit et les résultats n’ont pas été bien appréciés en Europe. Nous voulons parler de l’expédition de Tripoli et de la campagne contre les Kourdes. Le seul avantage qu’elles paraissent avoir en est d’exercer un peu les troupes et la marine turque ; mais la puissance du