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REVUE DES DEUX MONDES.

De mes chants imparfaits recueillez l’héritage,
Et sauvez de l’oubli quelques-uns de mes vers.
Et vous par qui je meurs, vous à qui je pardonne,
Femmes ! etc., etc. ..........

Le poète de Millevoye meurt pour avoir trop goûté de cet arbre, où le plaisir habite avec la mort ; l’extrême langueur s’exhale dans cette voix parfaitement distincte, mais affaiblie ; il n’a pas su dire à temps comme un élégiaque plus récent, qui s’écrie sous une inspiration semblable :

Otez, ôtez bien loin toute grace émouvante,
Tous regards où le cœur se reprend et s’enchante ;
Ôtez l’objet funeste au guerrier trop meurtri !
Ces rencontres, toujours ma joie et mon alarme,
Ces airs, ces tours de tête, ô femmes, votre charme ;
Doux charme par où j’ai péri !

Le service qu’il réclamait de ses amis, pour ses vers à sauver du naufrage, Millevoye le rendait alors même, autant qu’il était en lui, à ceux d’André Chénier. Le premier, il cita des fragmens du poème de l’Aveugle dans les notes de son second livre d’élégies, de même que M. de Châteaubriand avait cité la Jeune Captive. Millevoye ignorait que ce morceau, par lui signalé, d’un poète inconnu, et les autres reliques qui allaient suivre, effaceraient bientôt toutes ses propres tentatives d’élégie grecque, et s’il l’avait su, il n’aurait pas moins cité dans sa candeur : toute jalousie, même celle de l’art, était loin de lui. Ce second livre des élégies de Millevoye reste bien inférieur au premier, quoique l’intention en soit plus grande. Mais, chez Millevoye, l’art en lui-même est faible, et ce poète charmant, mélodieux, correct, a besoin de la sensibilité toujours présente. Comme il a manqué, par exemple, ce beau sujet d’Eschyle désertant Athènes qui lui préfère un rival ! Je cherche, j’attends quelque écho de ce grand vers résonnant d’Eschyle, et je ne trouve que notre alexandrin clair et flûté. Millevoye n’a pas l’invention du style, l’illumination, l’image perpétuelle et renouvelée ; il a de l’oreille et de l’ame, et quand il dit en poète amoureux ce qu’il sent, il touche. Hors de là, il manque sa veine.

Nous avons comparé plus d’une fois la muse d’André Chénier au portrait qu’il fait lui-même d’une de ses idylles, à cette jeune fille,