Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/633

Cette page a été validée par deux contributeurs.
623
MAUPRAT.

ensemble, dans un cabaret à Crevant ? J’ai donc voulu alors que ma déposition fut faite, même dût-elle nuire en partie à Bernard, afin d’avoir le droit de dire ce que je vous dis là, même quand cela ne servirait à rien. Mais comme, vous autres, vous ne donnez jamais le temps aux témoins de chercher à s’éclairer sur ce qu’ils ont à croire, je suis reparti tout de suite pour mes bois, où je vis à la manière des renards, me promettant de n’en pas sortir tant que je n’aurais pas découvert ce que ce moine fait dans le pays. Je me suis donc mis sur sa piste, et j’ai découvert ce qu’il est ; il est l’assassin d’Edmée de Mauprat, il s’appelle Antoine de Mauprat.

Cette révélation causa un grand mouvement dans la cour et dans l’auditoire. Tous les regards cherchèrent Jean de Mauprat, dont la figure ne parut point.

— Quelles sont vos preuves ? dit le président. — Je vais vous les dire, répondit Patience. Sachant par la cabaretière de Crevant, à qui j’ai eu occasion de rendre service, que les deux trappistes déjeunaient chez elle de temps en temps, comme je vous l’ai dit, j’ai été me loger à une demi-lieue de là, dans un ermitage qu’on appelle le Trou aux Fades, et qui est au milieu des bois, abandonné au premier venu, logis et mobilier. C’est une caverne dans le rocher, avec une grosse pierre pour s’asseoir, et rien avec. Je vécus là deux jours de racines et d’un morceau de pain qu’on m’apportait, de temps en temps, du cabaret. Il n’est pas dans mes principes de demeurer dans un cabaret. Le troisième jour, le petit garçon de la cabaretière vint m’avertir que les deux moines allaient se mettre à table. J’y courus, et je me cachai dans un cellier qui touche au jardin. La porte de ce cellier est ombragée d’un pommier, sous lequel ces messieurs déjeunaient en plein air. M. Jean était sobre ; l’autre mangeait comme un carme et buvait comme un cordelier. J’entendis et je vis tout à mon aise. « Il est temps que cela finisse, disait Antoine, que je reconnus fort bien en le voyant boire, et en l’entendant jurer, je suis las du métier que vous me faites faire. Donnez-moi asile chez les carmes, ou je fais du bruit.

— Et quel bruit pouvez-vous faire qui ne vous conduise à la roue, lourde bête ! lui répondit M. Jean ; soyez sûr que vous ne mettrez pas le pied aux carmes ; je ne me soucie pas de me voir inculpé dans un procès criminel, car on vous découvrirait là au bout de trois heures. — Pourquoi donc, s’il vous plaît ? vous leur faites bien