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MAUPRAT.

répondit l’abbé d’un ton plus doux encore. — Et sans doute, votre intention n’est pas de les braver ? — Je les subirai s’il le faut, repartit l’abbé avec un imperceptible sourire de fierté et un maintien si parfaitement noble, que toutes les femmes s’émurent. Les femmes sont d’excellens appréciateurs des choses délicatement belles.

— C’est fort bien, reprit le ministère public. Persistez-vous dans ce système de silence ? — Peut-être non, répondit l’abbé. — Nous direz-vous si, durant les jours qui ont suivi l’assassinat de Mlle de Mauprat, vous vous êtes trouvé à portée d’entendre les paroles qu’elle a proférées, soit dans le délire, soit dans la lucidité de ses idées. — Je ne vous dirai rien de cela, répondit l’abbé ; il serait contre mes affections et contre toute convenance à mes yeux de redire des paroles qui, en cas de délire, ne prouveraient absolument rien, et, en cas d’idée lucide, n’auraient été prononcées que dans l’épanchement d’une amitié toute filiale. — C’est fort bien, dit l’avocat du roi en se levant, la cour sera par nous requise de délibérer sur votre refus de témoignage, en joignant l’incident au fond. — Pour moi, dit le président, en attendant, et en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, j’ordonne qu’Aubert soit arrêté et conduit en prison.

L’abbé se laissa emmener avec une tranquillité modeste. Le public fut saisi de respect, et le plus profond silence régna dans l’assemblée, malgré les efforts et le dépit des moines et des curés, qui fulminaient tout bas contre l’hérétique.

Tous les témoins entendus (et je dois dire que ceux qu’on avait subornés jouèrent leur rôle très-faiblement en public), Mlle Leblanc comparut pour couronner l’œuvre. Je fus surpris de voir cette fille si acharnée contre moi, et si bien dirigée dans sa haine. Elle avait d’ailleurs des armes bien puissantes pour me nuire. En vertu du droit d’écouter aux portes et de surprendre tous les secrets de famille, que s’arrogent les laquais ; habile d’ailleurs aux interprétations, et féconde en mensonges, elle savait et arrangeait à sa guise la plupart des faits qu’elle pouvait invoquer pour ma perte. Elle raconta de quelle manière, sept ans auparavant, j’étais arrivé au château de Sainte-Sévère à la suite de Mlle de Mauprat, que j’avais soustraite à la grossièreté et à la méchanceté de mes oncles (cela soit dit, ajouta-t-elle en se tournant avec une grace d’antichambre vers Jean de Mauprat, sans faire allusion au