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MAUPRAT.

daient pas Jean de Mauprat comme un saint n’étaient pourtant pas en petit nombre, mais ils étaient froids à mon égard, et n’étaient venus là que pour assister à un spectacle.

L’enthousiasme des cagots fut au comble, lorsque le trappiste, sortant tout à coup de la foule et baissant son capuchon d’une manière théâtrale, s’approcha hardiment de la barre, en disant qu’il était un misérable pécheur, digne de tous les outrages, mais qu’en cette occasion où la vérité était un devoir pour tous, il se regardait comme obligé de donner l’exemple de la franchise et de la simplicité, en s’offrant de lui-même à toutes les épreuves qui pourraient éclairer la conscience des juges. Il y eut des trépignemens de joie et de tendresse dans l’auditoire. Le trappiste fut introduit dans l’enceinte de la cour, et confronté avec les témoins, qui déclarèrent tous, sans hésiter, que le moine qu’ils avaient vu portait le même habit et avait un air de famille, une sorte de ressemblance éloignée avec celui-là, mais que ce n’était pas le même, et qu’il ne leur restait pas un doute à cet égard.

L’issue de cet incident fut un nouveau triomphe pour le trappiste. Personne ne se dit que les témoins avaient montré tant de candeur, qu’il était difficile de croire qu’ils n’eussent point vu réellement un autre trappiste. Je me souvins en cet instant que lors de la première entrevue de l’abbé avec Jean de Mauprat à la fontaine des Fougères, ce dernier lui avait touché quelques mots d’un sien frère en religion, qui voyageait avec lui et qui avait passé la nuit à la ferme des Goulets. Je crus devoir communiquer cette réminiscence à mon avocat, et il alla en conférer tout bas avec l’abbé qui était sur le banc des témoins, et qui se rappela fort bien cette circonstance, sans pouvoir y ajouter aucun renseignement subséquent.

Quand ce fut au tour de l’abbé à parler, il se tourna vers moi d’un air d’angoisse ; ses yeux se remplirent de larmes, et il répondit aux questions de formalité avec trouble et d’une voix éteinte. Il fit un grand effort sur lui-même pour répondre sur le fond, et enfin il le fit en ces termes :

— J’étais dans le bois, lorsque M. le chevalier Hubert de Mauprat me pria de descendre de voiture et d’aller voir ce qu’était devenue sa fille Edmée, qui s’était écartée de la chasse depuis un temps assez long pour lui causer de l’inquiétude. Je courus assez