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tôt après l’évènement, et celles qu’elle disait encore aux heures de la fièvre.

— Non, certes, répondit Patience avec dureté ; vous n’êtes pas digne d’entendre un mot de cette bouche, et ce ne sera pas moi qui vous les redirai. Qu’avez-vous besoin de les savoir ? Espérez-vous cacher désormais quelque chose aux hommes ? Dieu vous a vu, il n’y a pas de secret pour lui. Partez, restez à la Roche-Mauprat, tenez-vous tranquille, et quand votre oncle sera mort et vos affaires réglées, quittez le pays. Si vous m’en croyez même, quittez-le dès à présent. Je ne veux pas vous faire poursuivre, à moins que vous ne m’y forciez par votre conduite. Mais d’autres que moi ont, sinon la certitude, du moins le soupçon de la vérité. Avant qu’il soit deux jours, un mot dit au hasard dans le public, l’indiscrétion d’un domestique, peuvent éveiller l’attention de la justice, et de là à l’échafaud, quand on est coupable, il n’y a qu’un pas. Je ne vous haïssais point, j’ai même eu de l’amitié pour vous ; croyez donc ce bon conseil que vous vous dites disposé à recevoir : partez, ou tenez-vous caché et prêt à fuir. Je ne voudrais pas votre perte, Edmée ne la voudrait pas non plus… Ainsi… Entendez-vous ? — Vous êtes insensé de croire que j’écouterai un semblable conseil. Moi, me cacher ! moi, fuir comme un coupable ! Vous n’y songez pas. Allez ! allez ! je vous brave tous. Je ne sais quelle fureur et quelle haine vous rongent, vous liguent contre moi ; je ne sais pourquoi vous voulez m’empêcher de voir mon oncle et ma cousine. Mais je méprise vos folies. Ma place est ici, je ne m’en éloignerai que sur l’ordre formel de ma cousine ou de mon oncle, et encore faudra-t-il que j’entende cet ordre sortir de leur bouche, car je ne me laisserai transmettre d’avis par aucun étranger. Ainsi donc, merci de votre sagesse, monsieur Patience, la mienne ici suffira. Je vous salue.

Je m’apprêtais à sortir de la chaumière, lorsqu’il s’élança au-devant de moi, et un instant je le vis disposé à employer la force pour me retenir. Malgré son âge avancé, malgré ma grande taille et ma force athlétique, il était encore capable de soutenir une lutte de ce genre peut-être avec avantage. Petit, voûté, large des épaules, c’était un Hercule.

Il s’arrêta pourtant au moment où il levait le bras sur moi ; et,