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MAUPRAT.

la rassurer. Mon ame n’était guère accessible par elle-même à la générosité et à la compassion, et dans ce moment une passion plus violente que tout le reste faisait taire en moi ce qu’elle essayait d’y trouver. Je la dévorais des yeux sans rien comprendre à ses discours ; toute la question, pour moi, était de savoir si je lui avais plu, ou si elle avait voulu se servir de moi pour la délivrer.

— Je vois bien que vous avez peur, lui dis-je ; vous avez tort d’avoir peur de moi ; je ne vous ferai certainement pas de mal. Vous êtes trop jolie pour que je songe à autre chose qu’à vous caresser.

— Oui, mais vos oncles me tueront, s’écria-t-elle, vous le savez bien. Est-il possible que vous vouliez me laisser tuer ? Puisque je vous plais, sauvez-moi, je vous aimerai après.

— Oh oui ! après, après, lui répondis-je en riant d’un air niais et méflant, après que vous m’aurez fait pendre par les gens du roi que je viens d’étriller si bien. Allons, prouvez-moi que vous m’aimez tout de suite, je vous sauverai après ; — après, moi aussi. — Je la poursuivis autour de la chambre ; elle fuyait. Cependant elle ne me témoignait pas de colère et me résistait avec des paroles douces. La malheureuse ménageait en moi son seul espoir et craignait de m’irriter. Ah ! si j’avais pu comprendre ce que c’était qu’une femme comme elle, et ce qu’était ma situation ! Mais j’en étais incapable, et je n’avais qu’une idée fixe, l’idée qu’un loup peut avoir en pareille occasion.

Enfin, comme à toutes ses prières je répondais toujours la même chose : M’aimez-vous ou vous moquez-vous ? elle vit à quelle brute elle avait à faire ; et, prenant son parti, elle se retourna vers moi, jeta ses bras autour de mon cou, cacha son visage dans mon sein, et me laissa baiser ses cheveux. Puis elle me repoussa doucement en me disant : — Eh mon Dieu ! ne vois-tu pas que je t’aime et que tu m’as plu dès le moment où je t’ai vu ? Mais ne comprends-tu pas que je hais tes oncles et que je ne veux appartenir qu’à toi ? — Oui, lui répondis-je obstinément, parce que vous avez dit : Voilà un imbécille à qui je persuaderai tout ce que je voudrai, en lui disant que je l’aime ; il le croira, et je le mènerai pendre. Voyons, il n’y a qu’un mot qui serve, si vous m’aimez. — Elle me regardait d’un air d’angoisse, tandis que je cherchais à rencontrer ses lèvres quand elle ne détournait pas la tête. Je tenais ses mains dans les miennes, elle ne pouvait plus que reculer l’in-