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extase, tendant ses deux mains saignantes au bel archange qui le visite, pour comprendre tout ce qu’il y a de sombre expression et de mélancolie rêveuse dans le génie de Zurbaran.

Maintenant, en ce qui regarde Murillo, nous dirons tout simplement que la Vierge à l’Alfaja est la plus admirable peinture qui se puisse voir de ce maître. Sainte Marie est assise, tenant sur ses genoux le petit Jésus, qu’elle enveloppe de ses langes ; et comme l’enfant divin ouvre la bouche pour pleurer, de beaux chérubins, groupés à l’entour, s’occupent à le distraire de sa peine en jouant de divers instrumens. Et tout cela se passe avec une simplicité délicieuse dans cette lumière chaude et transparente, qui est comme l’harmonie de la peinture. Sans compter que nous avons encore de Murillo la Décollation de saint Rodrigue, une Sainte Catherine, l’Enfant prodigue, la Conception de la Vierge et le Saint Félix de Cantalicio, composition suave et tout empreinte de mélancolie, où l’intérêt s’accroît encore par le charme de l’action. — Le soleil commence à décliner ; l’ermite, las de mendier vainement, va retourner à jeun dans sa cellule, lorsque l’enfant divin descend du ciel, et dépose un pain dans sa besace, tandis que des anges écartent le voile des nuages pour épier cette rencontre miraculeuse. — Puis, enfin, le portrait de Murillo peint par lui-même, objet d’amour et de vénération, inappréciable trésor. Cette noble tête de Murillo, que vous avez conquise, placez-la désormais au milieu des chefs-d’œuvre qu’elle a conçus, afin qu’elle entende le bruit que font au-dessous d’elle les applaudissemens de la postérité, et se réjouisse sans cesse dans sa création. — De Ribera, nous avons l’Assomption de sainte Marie l’égyptienne, composition terrible qui contraste singulièrement avec la manière dont Murillo a l’habitude de traiter des sujets pareils. Cette forme livide, qui sort du sépulcre et se dirige seule vers le ciel sans qu’un ange l’accompagne dans sa route, cette nature désolée et morne, vous glacent d’épouvante. Qu’on est loin alors des doux ravissemens et des agréables pensées que Murillo éveille dans le cœur ! et pourtant le motif est à peu près le même. Oui, mais quelle différence dans la manière de l’envisager ! D’un côté, c’est une morte ressuscitée à peine, qui flotte au hasard dans un air humide et froid ; de l’autre, une belle jeune femme qui n’a jamais cessé de vivre, et s’élève parée de tous ses attraits au milieu d’une gerbe de lumière et d’un chœur de blonds adolescens, frais épanouis. Tant il est vrai que