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LES EXAGÉRÉS.

journal, à combien d’exemplaires le tire-t-on ? un écrivain, qu’ai-je lu de lui ? un avocat, qu’il parle ; un musicien, qu’il chante ; et si la Pasta, qui vieillit, a perdu trois notes de sa gamme, la salle est vide. Ce n’est pas ainsi à la Scala ; mais le Parisien qui paie, veut jouir, et, en jouissant, veut raisonner, comme ce paysan qui, la nuit de ses noces, étendait la main, tout en embrassant sa femme, pour tâter dans les ténèbres le sac qui renfermait sa dot.

Le Parisien actuel est né d’hier ; et ce que seront ses enfans, je l’ignore. La race présente existe, et celui qui n’y voit qu’un anneau de plus à la chaîne des vivans, se noie comme un aveugle. Jamais nous n’avons si peu ressemblé à nos pères ; jamais nous n’avons si bien su ce que nos pères nous ont laissé ; jamais nous n’avons si bien compté notre argent, et par conséquent nos jouissances. Oserai-je le dire ? jamais nous n’avons su si bien qu’aujourd’hui ce que c’est que nos bras, nos jambes, notre ventre, nos mains ; et jamais nous n’en avons fait tant de cas.

Que ferez-vous maintenant, vous acteur, devant ce public ? C’est à lui que vous parlez, à lui qu’il faut plaire, peu importe le rôle que vous jouez, poète, comédien, député, ministre, qui que vous soyez, marionnette d’un jour. Que ferez-vous, je vous le demande, si vous arrivez en vous dandinant, pour prendre une pose théâtrale, chercher dans les yeux qui vous entourent l’effet d’une renommée douteuse, bégayer une phrase ampoulée, attendre le bravo, l’appeler en vain, et vous esquiver dans un à-peu-près ? Croirez-vous avoir réussi, quand quatre mains amies ou payées auront frappé les unes dans les autres, à tel geste appris, au moment convenu ?

Cinq cents personnes, entassées sur des chaises, attendent que l’abbé Rose paraisse ; son sermon est promis depuis trois mois pour la Pentecôte, à midi précis. Il paraît à deux heures, suivi du bedeau. Ses petits mollets gravissent lestement l’escalier en spirale. Il est en chaire ; il laisse tomber son coude sur la balustrade de velours, son front dans sa main, et semble rêver ; ses lèvres s’entr’ouvrent, et d’une voix flûtée, interrompue par une petite toux sèche, il commence en style melliflu une homélie qui dure trois heures. Il parle de la sainte Vierge, et l’appelle familièrement Marie ; de Jésus-Christ, et il l’appelle Christ. Il est tout plein de Christ et de Jean. Paul est bien beau, bien énergique ; mais Jean