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nement, elle inspire rarement des traités complets, assez logiquement assis pour commander l’attention et fournir aux esprits exercés un texte de controverse utile. C’est l’armée des fonctionnaires en charge ou en expectative qui dirige sur la société un feu roulant de brochures, avis, projets, adhésions, censures : feuillets livrés au vent, qui les disperse au hasard et sans profit, et qui pourtant font nombre dans le total de la production pour 3,167 feuilles typographiques et à peu près 5,000 rames imprimées. — Il faut citer comme un phénomène assez rare l’accord du pouvoir et du pays pour constituer un système d’éducation nationale. Les lois relatives à l’instruction publique ont excité entre les libraires une utile concurrence : ils multiplient les livres d’étude, et font de louables efforts pour les améliorer. De son côté, la classe bourgeoise, qui s’en tient à l’enseignement du roman, du théâtre et du feuilleton, a pu trouver dans les cabinets de lecture 9,218 feuilles nouvelles, ou environ trois volumes en deux jours. C’est un dixième de plus que l’année précédente. Le théâtre s’est enrichi en pareille monnaie. Le nombre des pièces jouées s’est élevé de 221 à 296, dont 237 ont été reproduites par la presse. Cette progression, déjà effrayante, n’en est pourtant pas à son dernier terme. Le théâtre et le roman, les seules branches lucratives du commerce littéraire, appellent de plus en plus l’exploitation, qui, d’ailleurs n’est jamais complètement mauvaise. Le drame écrit ou représenté ne peut tomber si bas, qu’il ne se trouve encore au niveau de quelques intelligences. Mais comment expliquer la fécondité croissante de nos poètes, pour qui rien n’est plus rare qu’un public, si ce n’est un éditeur, et dont la première vertu doit être le désintéressement ? En 1835, nous nous étonnions qu’on eût combiné assez de rimes pour en former 1,220 feuilles. Aujourd’hui nous en trouvons 1,663 ! Encore 11 grands poèmes (nous ne comptons pas Jocelyn, dont la place est marquée à part), 49 recueils, 19 traductions, et des cantates, des satires, des élégies, des opuscules sans nombre ! — L’avidité niaise, l’orgueil impuissant, ont aussi acquitté l’impôt annuel qu’ils paient aux imprimeurs. 116 journaux ont été annoncés en 1836. Les neuf-dixièmes n’ont pas dépassé les premiers numéros qu’on répand en façon de prospectus ; à la moitié de ceux dont l’apparition se prolonge, s’applique ce triste mot des pauvres gens : Exister n’est pas vivre.

Pour dernier mot, la stérilité du second semestre a démenti les espérances que nous avions énoncées en voyant les premiers mois de l’année signalés par d’estimables productions, et l’œuvre totale, réduite à l’élément glorieux et durable, est bien loin de répondre à ce qu’on doit attendre d’un grand peuple.


A. C. T.