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homme qui s’éloigne du sol où reposent ses ancêtres est en même temps frappé par les édits, et par la réprobation générale. Une solidarité est établie entre le fils et le père, et l’un est quelquefois puni ou récompensé selon les actes de l’autre. Le crime de lèse-majesté paternelle est considéré comme une calamité publique, et châtié comme une atteinte portée à la constitution de l’état. Nous citerons, d’après M. Davis, un exemple récent de sévérité. La cour de Pékin, ayant appris qu’un homme avait maltraité sa mère, résolut de fortifier, par une expiation solennelle, le principe vital de l’empire. Le théâtre du crime fut frappé d’anathème et de malédiction ; le coupable fut mis à mort ainsi que sa femme, accusée de complicité ; la mère de cette femme fut bâtonnée, et exilée comme responsable des torts de sa fille. Les examens publics auxquels se préparaient les étudians du district furent suspendus pendant trois années ; les magistrats furent privés de leurs emplois et bannis ; en même temps, un édit de l’empereur adressé à une population de plus de trois cent millions d’ames, déclarait que pareille justice serait faite de tous les enfans rebelles à leurs parens.

Dans un tel système d’éducation, l’obéissance est plutôt une habitude instinctive qu’une vertu morale ; la volonté individuelle, le ressort de l’énergie peut être incessamment brisé par le caprice et l’inintelligence du chef de famille. Au lieu de modérer la sève quelquefois exubérante de la jeunesse, on la laisse absorber entièrement par la vieillesse défiante et chagrine. Le despotisme paternel, auquel on attribue en Chine la stabilité de l’empire, l’eût au contraire conduit à l’anéantissement, si sa déplorable influence n’avait pas été contrebalancée par une autre coutume traditionnelle, qui a pris force de loi. Là, le savoir, ou plutôt l’érudition littérale, conduit à tout. La noblesse militaire, qui doit ses titres à la conquête, est complètement éclipsée par le corps des lettrés, auxquels sont dévolues toutes les fonctions publiques. Ce privilége acquis au mérite a entretenu quelque peu d’émulation. Néanmoins la masse du peuple est toujours restée stationnaire et sans vigueur ; elle n’a utilisé que très imparfaitement les avantages physiques qu’elle possède, et dans les découvertes industrielles, elle s’en est tenue à la première idée que le hasard peut-être a fournie. Fourbe et arrogante avec les Européens, dont les intentions ont toujours été pacifiques, elle n’a jamais su se défendre contre les hordes de l’Asie centrale, qui ont placé plusieurs dynasties sur le trône impérial. Les institutions chinoises sont tellement dissolvantes, que les conquérans barbares, qui les ont ordinairement adoptées, n’ont pas tardé à s’annuler eux-mêmes. M. Davis fait remarquer à ce sujet que la famille Mandchoue actuellement régnante, après avoir fourni deux hommes supérieurs, montre des symptômes non équivoques d’abâtardis-