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glais, de Maistre l’interroge brutalement sur la cosmogonie, la physique générale, l’histoire naturelle, et le trouve ignorant et plein de préjugés, même pour son temps ; et quand il a excité le rire et la pitié aux dépens de celui qu’on invoque souvent encore comme un initiateur inspiré, il s’écrie avec dédain : « On peut dès-lors savoir à quoi s’en tenir sur les réputations. Bacon est célébré de toutes parts pour avoir substitué l’induction au syllogisme, et il se trouve qu’il a déclaré la véritable induction vaine et puérile, en lui substituant, sous le nom d’induction légitime, une autre opération qu’il n’a pas comprise lui-même, mais qui est vaine et puérile dans tous les sens. On le célèbre encore pour avoir mis l’expérience en honneur, et il se trouve qu’au temps de Bacon, l’expérience légitime était en honneur dans toutes les parties de l’Europe, et qu’il a fait reposer son système d’expériences sur des idées fausses et directement contraires à l’avancement des sciences. » L’Examen critique du comte sera lu après les écrits du chancelier comme un précieux correctif. Il faut se défier toutefois de cette critique âcre et dissolvante, qui détruit tout ce qu’elle touche. Pour l’auteur du Pape, le crime irrémissible de Bacon est d’avoir été adopté par les sophistes et les savans anti-chrétiens du xviiie siècle. Nous n’entreprendrons pas de constater par des exemples l’hostilité flagrante et pieusement déloyale de l’auteur : la meilleure manière de le réfuter est de signaler les influences d’éducation et d’entourage qui ont pu fausser parfois une grande intelligence ; c’est de montrer Joseph de Maistre vivant et passionné, tel enfin qu’il apparaîtra dans un tableau complet, promis depuis long-temps aux lecteurs de la Revue, et qui sera l’œuvre du critique-poète qui surprend si habilement les secrets de la composition littéraire en sondant ceux du cœur humain.

§. ii. — HISTOIRE.

i. Généralités historiques. — La tâche de l’historien devient de plus en plus rude et périlleuse. Il ne s’agit plus seulement, comme par le passé, de mettre en saillie les figures des grands hommes et de rejeter sur les plans reculés l’action vague et incomprise des masses. Notre siècle, qui veut tout savoir, et qui doute de tout, paraît préférer des faits et des preuves à ces tableaux saisissans où l’art de la composition et la sagacité des jugemens attestent la puissance de l’écrivain mieux que l’encombrement des citations. Le poids des études imposé à celui qui entreprend une histoire ferait fléchir le plus ferme génie. Il faut connaître la géologie et la physiologie pour expliquer l’état des lieux et le mécanisme organique des peuples ; la théologie, la jurisprudence et l’économie politique, pour comparer les dogmes et le régime légal ; l’archéologie, la