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LA VÉNUS D’ILLE.

Il me poussa du genou, et très bas il me dit :

— Quand on se lèvera de table… que je puisse vous dire deux mots.

Son ton solennel me surprit. Je le regardai plus attentivement, et je remarquai l’étrange altération de ses traits.

— Vous sentez-vous indisposé ? lui demandai-je.

— Non.

Et il se remit à boire.

Cependant, au milieu des cris et des battemens de mains, un enfant de onze ans, qui s’était glissé sous la table, montrait aux assistans un joli ruban blanc et rose qu’il venait de détacher de la cheville de la mariée. On appelle cela sa jarretière. Elle fut aussitôt coupée par morceaux et distribuée aux jeunes gens, qui en ornèrent leur boutonnière, suivant un antique usage qui se conserve encore dans quelques familles patriarcales. Ce fut pour la mariée une occasion de rougir jusqu’au blanc des yeux… Mais son trouble fut au comble, lorsque M. de Peyrehorade, ayant réclamé le silence, lui chanta quelques vers catalans, impromptus, disait-il. En voici le sens, si je l’ai bien compris :

« Qu’est-ce donc mes amis ? Le vin que j’ai bu me fait-il voir double ? Il y a deux Vénus ici… »

Le marié tourna brusquement la tête d’un air effaré, qui fit rire tout le monde.

« Oui, poursuivit M. de Peyrehorade, il y a deux Vénus sous mon toit. L’une, je l’ai trouvée dans la terre comme une truffe ; l’autre, descendue des cieux, vient de nous partager sa ceinture. » Il voulait dire la jarretière.

« Mon fils, choisis de la Vénus romaine ou de la catalane celle que tu préfères. Le maraud prend la catalane, et sa part est la meilleure. La romaine est noire, la catalane est blanche. La romaine est froide, la catalane enflamme tout ce qui l’approche. »

Cette chute excita un tel hourra, des applaudissemens si bruyans et des rires si sonores, que je crus que le plafond allait nous tomber sur la tête. Autour de la table, il n’y avait que trois visages sérieux : ceux des mariés et le mien. J’avais un grand mal de tête ; et puis, je ne sais pourquoi un mariage m’attriste toujours. Celui-là, en outre, me dégoûtait un peu.

Les derniers couplets ayant été chantés par l’adjoint du maire,