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diste de Paris, sans se douter que son fiancé lui faisait le sacrifice d’un gage amoureux. Puis, on se mit à table, où l’on but, mangea, chanta même, le tout fort longuement. Je souffrais pour la mariée de la grosse joie qui éclatait autour d’elle ; pourtant, elle faisait meilleure contenance que je ne l’aurais espéré, et son embarras n’était ni de la gaucherie ni de l’affectation.

Peut-être le courage vient-il avec les situations difficiles.

Le déjeuner terminé quand il plut à Dieu, il était quatre heures ; les hommes allèrent se promener dans le parc, qui était magnifique, ou regardèrent danser sur la pelouse du château, les paysannes de Puygarrig, parées de leurs habits de fête. De la sorte, nous employâmes quelques heures. Cependant les femmes étaient fort empressées autour de la mariée, qui leur faisait admirer sa corbeille. Puis, elle changea de toilette, et je remarquai qu’elle couvrit ses beaux cheveux d’un bonnet et d’un chapeau à plumes, car les femmes n’ont rien de plus pressé que de prendre, aussitôt qu’elles le peuvent, les parures que l’usage leur défend de porter quand elles sont encore demoiselles.

Il était près de huit heures quand on se disposa à partir pour Ille. Mais d’abord eut lieu une scène pathétique. La tante de Mlle de Puygarrig, qui lui servait de mère, femme très âgée et fort dévote, ne devait point aller avec nous à la ville. Au départ, elle fit à sa nièce un sermon touchant sur ses devoirs d’épouse, duquel sermon résulta un torrent de larmes et des embrassemens sans fin. M. de Peyrehorade comparait cette séparation à l’enlèvement des Sabines. Nous partîmes pourtant, et pendant la route chacun s’évertua pour distraire la mariée et la faire rire ; mais ce fut en vain.

À Ille, le souper nous attendait, et quel souper ! Si la grosse joie du matin m’avait choqué, je le fus bien davantage des équivoques et des plaisanteries dont le marié et la mariée surtout furent l’objet. Le marié, qui avait disparu un instant avant de se mettre à table, était pâle et d’un sérieux de glace. Il buvait à chaque instant du vieux vin de Collioure presque aussi fort que de l’eau-de-vie. J’étais à côté de lui, et me crus obligé de l’avertir :

— Prenez garde ! on dit que le vin…

Je ne sais quelle sottise je lui dis pour me mettre à l’unisson des convives.