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LA VÉNUS D’ILLE.

courts, contrastaient singulièrement avec son costume. C’étaient des mains de laboureur sortant des manches d’un dandy. D’ailleurs bien qu’il me considérât de la tête aux pieds fort curieusement, en ma qualité de Parisien, il ne m’adressa qu’une seule fois la parole dans toute la soirée ; ce fut pour me demander où j’avais acheté la chaîne de ma montre.

— Ah ! ça, mon cher hôte, me dit M. de Peyrehorade, le souper tirant à sa fin, vous m’appartenez, vous êtes chez moi. Je ne vous lâche plus, sinon quand vous aurez vu tout ce que nous avons de curieux dans nos montagnes. Il faut que vous appreniez à connaître notre Roussillon, et que vous lui rendiez justice. Vous ne vous doutez pas de tout ce que nous allons vous montrer. Monumens phéniciens, celtiques, romains, arabes, bysantins, vous verrez tout, depuis le cèdre jusqu’à l’hysope. Je vous mènerai partout et ne vous ferai pas grâce d’une brique.

Un accès de toux l’obligea de s’arrêter. J’en profitai pour lui dire que je serais désolé de le déranger dans une circonstance aussi intéressante pour sa famille. S’il voulait bien me donner ses excellens conseils sur les excursions que j’aurais à faire, je pourrais, sans qu’il prît la peine de m’accompagner…

— Ah ! vous voulez parler du mariage de ce garçon-là, s’écria-t-il en m’interrompant. Bagatelle ! ce sera fait après-demain. Vous ferez la noce avec nous, en famille, car la future est en deuil d’une tante dont elle hérite. Ainsi point de fête, point de bal… C’est dommage…Vous auriez vu danser nos Catalanes… Elles sont jolies, et peut-être l’envie vous aurait-elle pris d’imiter mon Alphonse. Un mariage, dit-on, en amène d’autres… Samedi, les jeunes gens mariés, je suis libre et nous nous mettons en course… Je vous demande pardon de vous donner l’ennui d’une noce de province. Pour un Parisien blasé sur les fêtes… et une noce sans bal encore ! Pourtant, vous verrez une mariée… une mariée… vous m’en direz des nouvelles… Mais vous êtes un homme grave et vous ne regardez plus les femmes. J’ai mieux que cela à vous montrer… Je vous ferai voir quelque chose !… Je vous réserve une fière surprise pour demain.

— Mon Dieu ! lui dis-je, il est difficile d’avoir un trésor dans sa maison, sans que le public en soit instruit. Je crois deviner la surprise que vous me préparez. Mais, si c’est de votre statue qu’il