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malin joueur de paume. C’est que M. Alphonse de Peyrehorade en a été triste, car c’est Coll qui faisait sa partie. Voilà qui était beau à voir, comme ils se renvoyaient les balles. Paf ! paf ! Jamais elles ne touchaient terre.

Devisant de la sorte nous entrâmes à Ille, et je me trouvai bientôt en présence de M. de Peyrehorade. C’était un petit vieillard vert encore et dispos, poudré, le nez rouge, l’air jovial et goguenard. Avant d’avoir ouvert la lettre de M. de P., il m’avait installé devant une table bien servie, et m’avait présenté à sa femme et à son flls comme un archéologue illustre, qui devait tirer le Roussillon de l’oubli où le laissait l’indifférence des savans.

Tout en mangeant de bon appétit, car rien ne dispose mieux que l’air vif des montagnes, j’examinais mes hôtes. J’ai dit un mot de M. de Peyrehorade ; je dois ajouter que c’était la vivacité même. Il parlait, mangeait, se levait, courait à la bibliothèque, m’apportait des livres, me montrait des estampes, me versait à boire ; il n’était jamais deux minutes en repos. Sa femme, un peu trop grasse, comme la plupart des Catalanes lorsqu’elles ont passé quarante ans, me parut une provinciale renforcée, uniquement occupée des détails de son ménage. Bien que le souper fût suffisant pour six personnes au moins, elle courut à la cuisine, fit tuer des pigeons, frire des miliasses, ouvrir je ne sais combien de pots de confitures. En un instant la table fut encombrée de plats et de bouteilles, et je serais certainement mort d’indigestion si j’avais goûté seulement à tout ce qu’on m’offrait. Cependant, à chaque plat que je refusais, c’étaient de nouvelles excuses. On craignait que je ne me trouvasse bien mal à Ille. Dans la province on a si peu de ressources, et les Parisiens sont si difficiles !

Au milieu des allées et venues de ses parens, M. Alphonse de Peyrehorade ne bougeait non plus qu’un terme. C’était un grand jeune homme de vingt-six ans, d’une physionomie belle et régulière, mais manquant d’expression. Sa taille et ses formes athlétiques justifiaient bien la réputation d’infatigable joueur de paume, qu’on lui faisait dans le pays. Il était ce soir-là habillé avec élégance, exactement d’après la gravure du dernier numéro du journal des modes. Mais il me semblait gêné dans ses vêtemens. Il était raide comme un piquet dans son col de velours, et ne se tournait que tout d’une pièce. Ses mains grosses et hâlées, ses ongles