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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

partage avec la famille de poètes à laquelle il appartient, c’est cette gaieté native, cette gentillesse de pinceau, cette allégresse de tour, qui s’accommode si bien d’un patois accentué et pittoresque. Dans une pièce de lui à M. Laffitte, qui est du pays, il y a ce vers sur l’Adour :

Oh ! l’Adour ! aquel riou ta grand, ta cla, que cour,
Oh ! l’Adour ! cette rivière si grande, si claire, qui court ;

ce vers si preste et si transparent pourrait servir comme d’épigraphe à la poésie de Jasmin elle-même, qui, si elle n’est pas précisément grande, est du moins de la plus belle et de la plus courante limpidité.

Mais revenons à notre petit bûcheron. Au milieu de ses courses au bois, de ses batailles autour des feux de la Saint-Jean, de ses escapades dans les jardins ravagés, il avait ses tristesses ; le mot d’école, prononcé devant lui, le rendait muet ; il aurait voulu y aller et s’instruire ; cette idée confuse lui faisait mal quand sa mère qui filait, le regardant d’un air de tristesse, parlait tout bas d’école à son grand-père. Il ne se rendait pas compte, mais il pleurait un moment. Il était triste encore, quand, après la foire, où il avait rempli sa petite bourse en portant des paquets, il la donnait à sa mère, et qu’il voyait celle-ci la prendre avec soupir en disant « Pauvre enfant, tu viens bien à propos. » La pauvreté s’annonçait ainsi par de rares pensées, que bientôt dissipait la légèreté de l’âge. Un jour pourtant le bandeau tomba, et il ne put plus la méconnaître. C’était un lundi ; il avait dix ans, il jouait sur la place. Il voit passer un vieillard en fauteuil, qu’on porte ; il le reconnaît ; c’est son grand-père que la famille environne. Il ne voit que lui, et se jette à son cou pour l’embrasser : « Mais où vas-tu, grand père ? qu’as-tu à pleurer ? et pourquoi quitter des petits qui t’adorent ? » — « Mon fils, dit le vieillard, je vais à l’hôpital ; c’est là que les Jasmins meurent. » Cinq jours après il n’était plus ; et depuis ce lundi-là, l’enfant, pour la première fois, sut qu’ils étaient pauvres.

Le premier chant des Souvenirs finit sur cette idée, qui tempère à dessein les gaies peintures du début. Le second chant, nous allons le voir, se clôra de même. Il y a là un art de poète qui prend le soin d’interrompre, par une touche sensible, ce qui deviendrait