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Mauprat est mort, il y a long-temps. — Jean Mauprat n’est pas mort, ni Antoine Mauprat non plus peut-être, et je suis moins surpris que vous, parce que j’ai déjà rencontré un de ces deux revenans. Qu’il se soit fait moine, et qu’il pleure ses péchés, cela est fort possible ; mais qu’il se soit déguisé pour venir poursuivre ici quelque mauvais dessein, c’est ce qui n’est pas impossible non plus, et je vous engage à vous tenir sur vos gardes…

L’abbé fut effrayé au point de ne vouloir plus aller au rendez-vous. Je lui démontrai qu’il était nécessaire de savoir où voulait en venir le vieux pécheur. Mais comme je connaissais la faiblesse de l’abbé, comme je craignais que mon oncle Jean ne réussît à l’engager dans quelque fausse démarche, et à s’emparer de sa conscience par des aveux mensongers, je pris le parti de me glisser dans le taillis, de manière à tout voir et tout entendre.

Mais les choses ne se passèrent pas comme je l’aurais cru. Le trappiste, au lieu de jouer au plus fin, dévoila sur-le-champ à l’abbé son véritable nom. Il lui déclara que touché de repentir, et ne croyant pas que sa conscience lui permît d’en éviter le châtiment à l’abri du froc (car il était réellement trappiste depuis plusieurs années), il venait se mettre entre les mains de la justice, afin d’expier d’une manière éclatante les crimes dont il était souillé. Cet homme, doué de facultés supérieures, avait acquis dans le cloître une éloquence mystique. Il parlait avec tant de grace, de douceur, que je fus pris tout aussi bien que l’abbé. Ce fut en vain que ce dernier essaya de combattre une résolution qui lui semblait insensée. Jean de Mauprat montra le plus intrépide dévouement à ses idées religieuses. Il dit qu’ayant commis les crimes de l’antique barbarie païenne, il ne pouvait racheter son ame qu’au prix d’une pénitence publique digne des premiers chrétiens. — On peut, dit-il, être lâche envers Dieu comme envers les hommes, et dans le silence de mes veilles, j’entends une voix terrible qui répond à mes sanglots : Misérable poltron, c’est la peur des hommes qui te jette dans le sein de Dieu ; et si tu ne craignais la mort temporelle, tu n’aurais jamais songé à la vie éternelle. — Alors je sens que ce que je crains le plus, ce n’est pas la colère de Dieu, mais la corde et le bourreau qui m’attendent parmi mes semblables. Eh bien ! il est temps que ma honte finisse vis-à-vis de moi-même, et c’est le jour où les hommes me couvriront d’opprobre et de châti-