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de berger et d’instrumens aratoires, contrastait avec cette sombre enceinte, où je croyais encore voir monter la flamme rouge des assaillans, et couler le sang noir des Mauprat.

Je fus reçu avec la cordialité tranquille et un peu froide des paysans du Berry. On n’essaya pas de me plaire ; mais on ne me laissa manquer de rien. Je fus installé dans le seul des anciens bâtimens qui n’eût pas été endommagé lors du siége du donjon, ou abandonné depuis cette époque à l’action du temps. C’était un corps de logis dont l’architecture massive remontait au xe siècle ; la porte était plus petite que les fenêtres, et les fenêtres elles-mêmes donnaient si peu de jour, qu’il fallut allumer les flambeaux pour y pénétrer, quoique le soleil fût à peine couché. Ce bâtiment avait été restauré provisoirement pour servir de pied à terre au nouveau seigneur ou à ses mandataires. Mon oncle Hubert y était venu souvent surveiller mes intérêts, tant que ses forces le lui avaient permis ; et on me conduisit à la chambre qu’il s’était réservée, et qui s’appelait désormais la chambre du maître. On y avait transporté tout ce qu’on avait sauvé de mieux de l’ancien ameublement ; et, comme elle était froide et humide, malgré tous les soins qu’on avait pris pour la rendre habitable, la servante du métayer me précéda, un tison dans une main et un fagot dans l’autre.

Aveuglé par la fumée dont elle promenait le nuage autour de moi, trompé par la nouvelle porte qu’on avait percée sur un autre point de la cour et par certains corridors qu’on avait murés, pour se dispenser de les entretenir, je parvins jusqu’à cette chambre sans rien reconnaître ; il m’eût même été impossible de dire dans quelle partie des anciens bâtimens je me trouvais, tant le nouvel aspect de la cour déroutait mes souvenirs, tant mon ame assombrie et troublée était peu frappée des objets extérieurs.

On alluma le feu tandis que, me jetant sur une chaise et cachant ma tête dans mes mains, je me laissais aller à de tristes rêveries. Cette situation n’était pourtant pas sans charme, tant le passé se revêt naturellement de formes embellies ou adoucies dans le cerveau des jeunes gens, maîtres présomptueux de l’avenir. Quand, à force de souffler sur son tison, la servante eut rempli la chambre d’une épaisse fumée, elle sortit pour aller chercher de la braise, et me laissa seul. Marcasse était resté à l’écurie pour soigner nos chevaux. Blaireau m’avait suivi ; couché devant l’âtre, il me re-