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MAUPRAT.

me supplia instamment de la lui céder pour y mettre quelques pattes de mouche et quelques ailes de cigale, qu’il eût défendues jusqu’à la dernière goutte de son sang. Il me fallut tout le respect que je portais aux reliques de l’amour pour résister aux instances de l’amitié. Tout ce qu’il put obtenir de moi, ce fut de glisser dans ma précieuse boîte une petite plante fort jolie qu’il prétendait avoir découverte le premier, et qui n’eût droit d’asile à côté du billet et de l’anneau de ma fiancée, qu’à la condition de s’appeler Edmunda Sylvestris. Il y consentit ; il avait donné à un beau pommier sauvage le nom de Samuel Adams, celui de Franklin à je ne sais quelle abeille industrieuse, et rien ne lui plaisait comme d’associer ses nobles enthousiasmes à ses ingénieuses observations.

Je conçus pour lui un attachement d’autant plus vif, que c’était ma première amitié pour un homme de mon âge. Le charme que je trouvais dans cette liaison me révéla une face de la vie, des facultés et des besoins de l’ame que je ne connaissais pas. Comme je ne pus me détacher jamais des premières impressions de mon enfance, dans mon amour pour la chevalerie, je me plus à voir en lui mon frère d’armes, et je voulus qu’il me donnât ce titre, à l’exclusion de tout autre ami intime. Il s’y prêta avec un abandon de cœur qui me prouva combien la sympathie était vive entre nous. Il prétendait que j’étais né pour être naturaliste, à cause de mon aptitude à la vie nomade et aux rudes expéditions. Il me reprochait un peu de préoccupation, et me grondait sérieusement lorsque je marchais étourdiment sur des plantes intéressantes ; mais il assurait que j’étais doué de l’esprit de méthode, et que je pourrais inventer un jour, non pas une théorie de la nature, mais un excellent système de classification. Sa prédiction ne se réalisa point, mais ses encouragemens réveillèrent en moi le goût de l’étude et empêchèrent mon esprit de retomber en paralysie dans la vie des camps. Il fut pour moi l’envoyé du ciel ; sans lui je fusse redevenu peut-être, sinon le coupe-jarret de la Roche-Mauprat, du moins le sauvage de la Varenne. Ses enseignemens ranimèrent en moi le sentiment de la vie intellectuelle ; il agrandit mes idées, il ennoblit aussi mes instincts ; car si une merveilleuse droiture et des habitudes de modestie l’empêchaient de se jeter dans les discussions philosophiques, il avait l’amour inné de la justice, et décidait avec une sagacité infaillible toutes les questions