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LES TEMPLIERS.

vers le soir du même jour, il les fit brûler tous deux sur le même bûcher, dans une petite île de la Seine, entre le jardin royal et l’église des frères ermites de saint Augustin. Ils parurent soutenir les flammes avec tant de fermeté et de résolution, que la constance de leur mort et leurs dénégations finales frappèrent la multitude d’admiration et de stupeur. Les deux autres furent enfermés, comme le portait leur sentence. »

Cette exécution, à l’insu des juges, fut évidemment un assassinat. Le roi, qui, en 1310, avait au moins réuni un concile pour faire périr les cinquante-quatre, dédaigna ici toute apparence de droit et n’employa que la force. Il n’avait pas même ici l’excuse du danger, la raison d’état, celle du salus populi, qu’il inscrivait sur ses monnaies[1]. Non, il considéra la dénégation du grand-maître comme un outrage personnel, une insulte à la royauté, tant compromise dans cette affaire. Il le frappa sans doute comme reum læsæ majestatis.

Maintenant comment expliquer les variations du grand-maître et sa dénégation finale ? Ne semble-t-il pas que, par fidélité chevaleresque, par orgueil militaire, il ait couvert à tout prix l’honneur de l’ordre ? que la superbe du Temple se soit réveillée au dernier moment ; que le vieux chevalier, laissé sur la brèche comme dernier défenseur, ait voulu, au péril de son ame, rendre à jamais impossible le jugement de l’avenir sur cette obscure question ?

On peut dire aussi que les crimes reprochés à l’ordre étaient particuliers à telle province du Temple, à telle maison ; que l’ordre en était innocent ; que Jacques Molay, après avoir avoué comme homme, et par humilité, put nier comme grand-maître.

Mais il y a autre chose à dire. Le principal chef d’accusation, le reniement[2], reposait sur une équivoque. Ils pouvaient avouer

  1. Il y a des monnaies de Philippe-le-Bel qui représentent la salutation angélique avec cette légende : Salus populi.
  2. Ce reniement fait penser au mot plus sérieux qu’il ne semble : Offrez à Dieu votre incrédulité. — Voir, dans mon second volume de l’Histoire de France, pag. 63, 99, 654 (première édition), les cérémonies grotesques de la fête des idiots, fatuorum  : « Le peuple élevait la voix. Il entrait, innombrable, tumultueux, par tous les vomitoires de la cathédrale, avec sa grande voix confuse, géant enfant, comme le saint Christophe de la légende, brut, ignorant, passionné, mais docile, implorant l’initiation, demandant à porter le Christ sur ses épaules colossales. Il entrait, amenant dans l’église le hideux dragon du péché ; il le traînait, saoulé de victuailles, aux pieds du Sauveur, sous le coup