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soixante-douze templiers à Poitiers, et fit partir de Paris les principaux de l’ordre ; mais il ne les fit pas avancer plus loin que Chinon. Le pape s’en contenta ; il obtint les aveux de ceux de Poitiers. En même temps, il leva la suspension des juges ordinaires, se réservant seulement le jugement des chefs de l’ordre.

Cette molle procédure ne pouvait satisfaire le roi. Si la chose eût été traînée ainsi à petit bruit et pardonnée, comme au confessionnal, il n’y avait pas moyen de garder les biens. Aussi, pendant que le pape s’imaginait tout tenir dans ses mains, le roi faisait instrumenter à Paris par son confesseur, inquisiteur-général de France. On obtint sur-le-champ cent quarante aveux par les tortures ; le fer et le feu y furent employés[1]. Ces aveux une fois divulgués, le pape ne pouvait plus arranger la chose. Il envoya deux cardinaux à Chinon, demander aux chefs, au grand-maître, si tout cela était vrai ; les cardinaux leur persuadèrent d’avouer, et ils s’y résignèrent. Le pape, en effet, les réconcilia et les recommanda au roi. Il croyait les avoir sauvés.

Philippe le laissait dire et allait son chemin. Au commencement de 1308, il fit arrêter par son cousin, le roi de Naples, tous les templiers de Provence[2]. À Pâques, les états du royaume furent assemblés à Tours. Le roi s’y fit adresser un discours singulièrement violent contre le clergé : « Le peuple du royaume de France adresse au roi d’instantes supplications… Qu’il se rappelle que le prince des fils d’Israël, Moïse, l’ami de Dieu, à qui le Seigneur parlait face à face, voyant l’apostasie des adorateurs du veau d’or, dit : Que chacun prenne le glaive et tue son proche parent… Il n’alla pas pour cela demander le consentement d’Aaron, constitué grand-prêtre par l’ordre de Dieu… Pourquoi donc le roi très chrétien ne procéderait-il pas de même, même contre tout le clergé, si le clergé errait ainsi, ou soutenait ceux qui errent ? »

À l’appui de ce discours, vingt-six princes et seigneurs se constituèrent accusateurs, et donnèrent procuration pour agir contre les templiers par-devant le pape et le roi. La procuration est signée

  1. Archives du royaume, K. 413. Ces dépositions existent dans un gros rouleau de parchemin ; elles ont été fort négligemment extraites par Dupuy, pag. 207-212.
  2. Charles-le-Boiteux écrit à ses officiers en leur adressant des lettres encloses : «  À ce jour que je vous marque, avant qu’il soit clair, voire plutôt en pleine nuict, vous les ouvrirez. 13 janvier 1308. » (Dupuy, préface, pag. 233.)