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MAUPRAT.

— Eh bien ! eh bien ! qu’y a-t-il ? dit le solitaire avec calme et douceur ; croyez-vous que je ne sache pas bien ce qui en est ? Je ne suis pas si simple que je ne comprenne ; je ne suis pas si vieux que je ne voie clair. Qui est-ce qui secoue les branches de mon if toutes les fois que la fille sainte est assise à ma porte ? Qui est-ce qui nous suit comme un jeune loup, à pas comptés, sous le taillis quand je reconduis la belle enfant chez son père ? Et quel mal y a-t-il à cela ? Vous êtes jeunes tous deux, vous êtes beaux tous deux, vous êtes parens, et si vous vouliez, vous seriez un digne et honnête homme, comme elle est une digne et honnête fille.

Tout mon courroux était tombé en écoutant Patience parler d’Edmée. J’avais un si grand besoin de m’entretenir d’elle que j’en aurais entendu dire du mal pour le seul plaisir d’entendre prononcer son nom. Je continuai ma promenade côte à côte avec Patience. Le vieillard marchait pieds nus dans la rosée. Il est vrai que ses pieds, ayant oublié depuis long-temps l’usage des chaussures, étaient arrivés à un degré de callosité qui les mettait à l’abri de tout. Il avait pour tout vêtement un pantalon de toile bleue qui, faute de bretelles, tombait sur ses hanches, et une chemise grossière. Il ne pouvait souffrir aucune contrainte dans ses habits, et sa peau, endurcie par le hâle, n’était sensible ni au chaud ni au froid. On l’a vu, jusqu’à plus de quatre-vingts ans, aller tête nue au soleil le plus ardent, et la veste entr’ouverte à la bise des hivers. Depuis qu’Edmée veillait à tous ses besoins, il était arrivé à une certaine propreté. Mais dans le désordre de sa toilette et sa haine pour tout ce qui dépassait les bornes du strict nécessaire, se retrouvait, sauf l’impudeur, qui lui avait toujours été odieuse, le cynique des anciens jours. Sa barbe brillait comme de l’argent. Son crâne chauve était si luisant, que la lune s’y reflétait comme dans l’eau. Il marchait lentement, les mains derrière le dos, la tête levée, comme un homme qui surveille son empire. Mais le plus souvent ses regards se perdaient vers le ciel, et il interrompait sa conversation pour dire en montrant la voûte étoilée : « Voyez cela, voyez comme c’est beau ! » C’est le seul paysan que j’aie vu admirer le ciel, ou tout au moins c’est le seul que j’aie vu se rendre compte de son admiration.

— Pourquoi, maître Patience, lui dis-je, pensez-vous que je serais un honnête homme si je voulais ? Croyez-vous donc que je ne