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serai devant mon père, tous les jours si vous voulez, mais jamais ici. — Vous ne m’embrasserez jamais ? m’écriai-je, rendu à mes fureurs accoutumées. Et votre promesse ? et mes droits ?… — Si nous nous marions ensemble… dit-elle avec embarras, quand vous aurez reçu l’éducation que je vous supplie de recevoir… — Mort de ma vie ! vous moquez-vous ? Est-il question de mariage entre nous ? Nullement, je ne veux pas de votre fortune, je vous l’ai dit. — Ma fortune et la vôtre ne font plus qu’une, répondit-elle. Entre parens si proches que nous le sommes, le tien et le mien sont des mots sans valeur. Jamais la pensée ne me viendra de vous croire cupide. Je sais que vous m’aimez, que vous travaillerez à me le prouver, et qu’un jour viendra où votre amour ne me fera plus peur, parce que je pourrai l’accepter à la face du ciel et des hommes.

— Si c’est là votre idée, repris-je, tout-à-fait distrait de mes sauvages transports par la direction nouvelle qu’elle donnait à mes pensées, ma position est bien différente ; mais, à vous dire vrai, il faut que j’y réfléchisse… Je n’avais pas songé que vous l’entendriez ainsi… — Et comment voulez-vous que je puisse l’entendre différemment ? reprit-elle. Une demoiselle ne se déshonore-t-elle pas en se donnant à un autre homme qu’à son époux ? Je ne veux pas me déshonorer, vous ne le voudriez pas non plus, vous qui m’aimez. Vous ne voudriez pas me faire un tort irréparable ? Si vous aviez cette intention, vous seriez mon plus mortel ennemi… — Attendez, Edmée, attendez, repris-je, je ne puis rien vous dire de mes intentions, je n’en ai jamais eu d’arrêtées à votre égard. Je n’ai eu que des désirs, et jamais je n’ai pensé à vous sans devenir fou. Vous voulez que je vous épouse ? Eh ! pourquoi donc, mon Dieu ? — Parce qu’une fille qui se respecte ne peut appartenir à un homme sans la pensée, sans la résolution, sans la certitude de lui appartenir toujours. Ne savez-vous pas cela ? — Il y a tant de choses que je ne sais pas, ou auxquelles je n’ai jamais pensé. — L’éducation vous apprendrait, Bernard, ce que vous devez penser des choses qui vous intéressent le plus, de votre position, de vos devoirs, de vos sentimens. Vous ne voyez clair ni dans votre cœur, ni dans votre conscience. Moi, qui suis habituée à m’interroger sur toutes choses, et à me gouverner moi-même, comment voulez-vous que je prenne pour maître un homme soumis à l’instinct et guidé par