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sauront vous soustraire. Vous êtes orphelin, et je n’ai pas de fils. Voulez-vous m’accepter pour votre père ?

Je regardai le chevalier avec des yeux égarés. Je ne pouvais en croire mes oreilles. Toute impression était paralysée chez moi par la surprise et la timidité. Il me fut impossible de répondre un mot ; le chevalier éprouva un peu de surprise lui-même, il ne s’attendait pas à trouver une nature aussi brutalement inculte. — Allons, me dit-il, j’espère que vous vous accoutumerez à nous. Donnez-moi seulement une poignée de main, pour me prouver que vous avez confiance en moi. Je vais vous envoyer votre domestique, commandez-lui tout ce que vous voudrez, il est à vous. J’ai seulement une promesse à exiger de vous, c’est que vous ne sortirez point de l’enceinte du parc, d’ici à ce que j’aie pris des mesures pour vous soustraire aux poursuites de la justice. On pourrait faire rejaillir sur vous les accusations qui pèsent sur la conduite de vos oncles.

— Mes oncles ? dis-je en passant mes mains sur ma tête, est-ce un mauvais rêve que j’ai fait ? Où sont-ils ? Qu’est devenue la Roche-Mauprat ?

— La Roche-Mauprat a été préservée des flammes, répondit-il. Quelques bâtimens accessoires ont été détruits ; mais je me charge de réparer votre maison et de racheter votre fief aux créanciers dont il est aujourd’hui la proie. Quant à vos oncles… vous êtes probablement le seul héritier d’un nom qu’il vous appartient de réhabiliter.

— Le seul ! m’écriai-je… Quatre Mauprat ont succombé cette nuit, mais les trois autres…

— Le cinquième… Gaucher, a péri dans sa fuite ; on l’a retrouvé ce matin noyé dans l’étang des Froids.

On n’a retrouvé ni Jean, ni Antoine ; mais le cheval de l’un et le manteau de l’autre, trouvés à peu de distance du lieu où gisait le cadavre de Gaucher, sont des indices sinistres de quelque évènement semblable. Si l’un des Mauprat s’est échappé, c’est pour ne plus reparaître, car il n’y aurait plus d’espoir pour lui ; et puisqu’ils ont attiré sur leurs têtes ces orages inévitables, mieux vaut pour eux et pour nous, qui avons le malheur de porter le même nom, qu’ils aient eu cette fin tragique les armes à la main, que de subir une mort infâme au bout d’une potence. Acceptons