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MAUPRAT.

rieux, ne m’eût saisi le bras en me disant d’un ton absolu : — Rasseyez-vous, tenez-vous tranquille, je vous l’ordonne. — Tant de hardiesse et de confiance me surprit et me plut en même temps. Les droits qu’elle s’arrogeait sur moi étaient comme une sanction de ceux que je prétendais avoir sur elle. — C’est juste, lui répondis-je en m’asseyant, et j’ajoutai, en regardant Patience : — Cela se retrouvera. — Amen, répondit-il en levant les épaules. — Marcasse s’était relevé avec beaucoup de sang-froid, et, secouant les cendres dont il était sali, au lieu de s’en prendre à moi, il essayait, à sa manière, de sermonner Patience. La chose n’était pas facile en elle-même ; mais rien n’était moins irritant que cette censure monosyllabique jetant sa note au milieu des querelles comme un écho dans la tempête. — À votre âge, disait-il à son hôte, pas patient du tout ! Tout le tort, oui, tort, vous ! — Que vous êtes méchant ! me disait Edmée en laissant sa main sur mon épaule, ne recommencez pas, ou je vous abandonne. — Je me laissais gronder par elle avec plaisir, et sans m’apercevoir que, depuis un instant, nous avions changé de rôle : c’était elle maintenant qui commandait et menaçait ; elle avait repris toute sa supériorité réelle sur moi en franchissant le seuil de la tour Gazeau ; et ce lieu sauvage, ces témoins étrangers, cet hôte farouche, représentaient déjà la société où je venais de mettre le pied, et dont j’allais bientôt subir les entraves.

— Allons, dit-elle en se tournant vers Patience, nous ne nous entendons pas ici, et moi je suis dévorée d’inquiétude pour mon pauvre père qui me cherche et qui se tord les bras à l’heure qu’il est. Bon Patience, trouve-moi un moyen de le rejoindre avec ce malheureux enfant que je ne puis laisser à ta garde, puisque tu ne m’aimes pas assez pour être patient et miséricordieux avec lui. — Qu’est-ce que vous dites ? s’écria Patience en posant sa main sur son front comme au sortir d’un rêve. Oui, vous avez raison ; je suis un vieux brutal, un vieux fou. Fille de Dieu ! dites à ce garçon… à ce gentilhomme que je lui demande pardon du passé et que, pour le présent, je mets ma pauvre cellule à ses ordres ; est-ce bien parlé ? — Oui, Patience, dit le curé ; d’ailleurs tout peut s’arranger ; mon cheval est doux et solide, Mlle de Mauprat va le monter, vous et Marcasse le conduirez par la bride, et moi je resterai ici près de notre blessé. Je réponds de le bien soigner