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de part ni d’autre ; le ministère, moins uni, ne se trouva pas disloqué, comme on l’a dit, et, en réalité, tout se bornait encore à une pensée restée sans exécution. Cette pensée avait été conçue par M. Guizot, qui essayait de devenir ministre de l’intérieur par égard pour ses amis, et qui consentait à rester ministre de l’instruction publique par égard pour ses collègues ; mais il paraît que cette résolution pacifique de M. Guizot fut de courte durée, et les nombreuses démarches faites par ses amis devinrent bientôt l’objet de l’attention générale.

On a tant parlé de ces démarches, qu’il nous est bien permis d’en parler à notre tour ; et les vœux de M. Guizot ont été exprimés si clairement par les feuilles qui lui sont dévouées, que pour les méconnaître, il faudrait volontairement se fermer les yeux.

La première démarche aurait eu lieu près du général Sébastiani, qu’on aurait mis dans la nécessité de répondre, en homme d’esprit et de caractère, par un mille fois non ! fortement prononcé, aux instances qui lui étaient faites pour accepter la présidence du conseil et le ministère des affaires étrangères. Le maréchal Soult avait déjà refusé des propositions presque semblables, et M. de Montalivet en était aussi à son second refus. On songea alors à donner le ministère de la guerre au général Rohault de Fleury, qui s’est distingué surtout dans les troubles de Lyon, où il a acquis son grade, grade bien acquis sans nul doute, mais dont l’origine rappelle de pénibles souvenirs. M. Guizot se décidait, dans cette nouvelle combinaison, à prendre la présidence du conseil et le ministère de l’intérieur. Mais la difficulté de trouver un ministre des affaires étrangères, l’acceptation de M. de Barante étant plus que douteuse, empêcha la formation de ce cabinet, auquel eût encore manqué l’adhésion du roi, des chambres et de l’opinion, légères difficultés, d’ailleurs, qui n’arrêtent ni M. Guizot ni ses amis.

M. Guizot revint alors à M. Molé, qui n’ignorait pas sans doute toutes ces manœuvres, et insista pour que le ministère de l’intérieur lui fût livré ; mais de graves raisons, puisées dans des considérations politiques que tout le monde appréciera, et dans un sentiment de dignité personnelle, décidèrent, dit-on, M. Molé à s’opposer à l’exigeance de M. Guizot. Et pour mettre M. Guizot à même d’agir en toute liberté, le président du conseil pria le roi de charger le ministre de l’instruction publique de former un ministère à sa convenance.

C’est alors qu’on lut dans quelques journaux dévoués à M. Guizot ces étranges manifestes où l’on rayait M. Molé de la liste des hommes politiques, pour n’y laisser que M. Guizot, M. Thiers et M. Odilon Barrot ; M. Guizot, essentiel, indispensable, unique, dans le moment présent ; M. Thiers, qu’on laissait entrevoir comme un homme possible dans l’ave-