Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.
100
REVUE DES DEUX MONDES.

M. Ingres a su éviter avec un rare bonheur, c’était l’emphase. Un artiste vulgaire, préoccupé de l’éclat du velours ou de l’achèvement puéril des broderies du manteau, du modelé systématique des plans du visage, ou de la précision patiente des mains qui offrent à Marie le sceptre et la couronne de France, n’aurait pas trouvé le mouvement que M. Ingres a donné à cette figure. Il n’était permis qu’à une intelligence profondément pénétrée de la dignité du sujet, de concilier, par une merveilleuse habileté, l’élan du chrétien et la grandeur du roi. Or, M. Ingres n’a méconnu aucune de ces deux conditions qui nous semblent impérieuses. Il n’a pas fait de Louis XIII un martyr qui monte aux cieux, mais un roi devant qui les cieux s’entr’ouvrent ; il n’a pas cru que la piété du monarque l’obligeât à modérer le mouvement de la figure : il a voulu que l’attitude fût digne des lèvres qui prient, et il a donné au geste de Louis XIII une ampleur majestueuse. Nous ne croyons pas possible d’obtenir plus simplement l’effet que M. Ingres s’est proposé ; le personnage est bien ce qu’il devait être : il est vrai, sans être en scène, et ce mérite est, selon nous, inappréciable.

La Vierge, qui abaisse ses regards sur le roi suppliant, est d’un grand caractère. La sévérité de sa physionomie ne contredit pas les traditions de l’école romaine. Ce serait une étrange méprise que de chercher sur le visage de cette femme divine la grace et la candeur qui rayonnent dans les vierges de Raphaël. Raphaël n’avait à exprimer que le bonheur de la maternité ; M. Ingres devait peindre sur la figure de Marie l’intelligence à côté de la pureté, la force à côté de l’indulgence. La tradition romaine, comme toutes les traditions bien comprises, accepte et prescrit la modification que nous signalons. Quoique le type des madones de Raphaël soit d’une beauté admirable, ce type ne renferme pas l’élément que M. Ingres devait mettre en relief, je veux dire la force indulgente. L’artiste romain, qui a multiplié avec une fécondité si prodigieuse le visage de la Vierge divine, ne s’est jamais proposé le même but que le peintre français ; il serait donc injuste, il serait déraisonnable de demander à M. Ingres pourquoi il s’est cru autorisé à changer le type de Marie. Il ne faut pas oublier que Marie, dans le Vœu de Louis XIII, accepte l’offrande du royaume de France, et qu’elle promet au monarque suppliant de le soutenir dans les épreuves qui lui sont réservées. La force empreinte sur le visage de la Vierge n’est pas une faute, mais une nécessité. Ne pas deviner les motifs qui ont décidé M. Ingres à modifier le type de l’école romaine, c’est ne pas comprendre le sujet traité par le peintre français. Il faut louer M. Ingres d’avoir accepté franchement toutes les difficultés de la composition qu’il avait entreprise ; il faut le remercier de n’avoir pas reculé devant la violation apparente des tradi-