Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/103

Cette page a été validée par deux contributeurs.
97
LE VŒU DE LOUIS XIII.

avec plus de grandeur et d’utilité que dans la peinture religieuse. Nulle part en effet, l’harmonie linéaire n’avait un aussi beau rôle à jouer. À Dieu ne plaise que nous contestions la valeur des compositions religieuses de Murillo ; nous ne pourrons jamais oublier la Sainte Famille, qui suffirait seule à illustrer, dans toute l’Europe, la galerie du maréchal Soult. Nous avons toujours présente à la pensée la naïveté grave de la jeune Marie, l’ardente virginité de son visage, la santé radieuse de Jésus, la soumission triomphante de Joseph. Ce n’est pas nous qui reprocherons à Murillo l’accent andaloux de cette admirable sainte famille. Tout en reconnaissant l’origine pittoresque de Jésus et de Marie, nous ne pouvons nier la divine extase qui éclaire le visage de la mère prédestinée. S’il était donné à la beauté humaine d’annoncer la beauté céleste, assurément la madone de Murillo nous expliquerait la mère de l’Enfant Dieu. Mais cependant il est permis sans injustice d’insister sur le caractère voluptueux de cette madone. La mère de Jésus dans cette toile de Murillo, bien que voilée d’une sainte pudeur, bien que ses regards soient tout entiers à son enfant, éveille dans l’ame du spectateur plus d’un désir tumultueux. Elle est pleine de grace et de chasteté ; mais sa peau est si ardente et si colorée, le sang qui circule dans ses veines est si abondant et si rapide, ses yeux ont tant de feu, que, malgré lui, le spectateur se surprend à oublier la mère pour ne plus se rappeler que la femme. Faut il conclure de cette impression que la madone de Murillo n’est pas complètement belle ? Faut-il incriminer comme mesquine, cette figure qui n’enchaîne pas l’admiration et qui ne défend pas le désir ? Les principes absolus de la beauté se prononceraient pour l’affirmative. Mais il nous semble raisonnable de distinguer dans la Vierge de Murillo la beauté divine qui se compose de l’expression, de l’attitude, et la beauté humaine, la beauté voluptueuse, qui s’explique par la couleur, par le ton ardent des chairs, par l’accent andaloux des lèvres et du regard. Si cette distinction est fondée, comme nous le croyons, Murillo n’est pas demeuré au-dessous du sujet qu’il avait choisi ; mais il a trouvé dans le ton du modèle qui posait devant lui, un charme qui l’a détourné de l’harmonie linéaire, et qui trouble chez le spectateur l’impression religieuse. Si l’ame, en présence de la Sainte Famille espagnole, ne s’élève pas sans tumulte aux régions de l’extase religieuse, ce n’est donc pas la faute du peintre, mais bien la faute du climat où il a vécu. Si la couleur eût été moins chaude, la ligne serait plus pure.

L’école flamande, qui procède directement de Venise, satisfait-elle mieux que l’école espagnole aux conditions de la peinture religieuse ? L’objection soulevée par Murillo ne s’adresse-t-elle pas à Rubens avec une égale justesse ? Nous nous décidons hardiment pour l’affirmative.