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LETTRES SUR L’AMÉRIQUE.

faires en permanence : c’est toujours l’Anglais du matin. On trouve beaucoup d’Anglais du soir dans les plantations du sud ; on commence à en rencontrer quelques-uns dans les métropoles du nord.

Haut, mince et dégagé dans sa taille, l’Américain semble bâti tout exprès pour le travail matériel. Il n’a pas son pareil pour aller vite en besogne. Nul ne s’assimile plus aisément une pratique nouvelle ; il est toujours prêt à modifier ses procédés ou ses outils, ou à changer de métier. Il est mécanicien dans l’ame. Chez nous, il n’y a pas d’élève des hautes écoles qui n’ait fait son vaudeville, son roman ou sa constitution monarchique ou républicaine. Il n’y a pas de paysan du Connecticut ou du Massachusetts qui n’ait inventé sa machine. Il n’y a pas d’homme un peu considérable qui n’ait son projet de chemin de fer, son plan de village ou de ville, ou qui ne nourrisse in petto quelque grande spéculation sur les terres inondées de la Rivière Rouge, ou sur les terrains à coton de l’Yazoo ou du Texas, ou sur les champs à blé de l’Illinois. Colonisateur par excellence, l’Américain-type, celui qui n’est pas plus ou moins européanisé, l’Yankee pur, en un mot, n’est pas seulement travailleur ; c’est un travailleur ambulant. Il n’a point de racines dans le sol ; il est étranger au culte de la terre natale et de la maison paternelle ; il est toujours en humeur d’émigrer, toujours prêt à partir, avec le premier bateau à vapeur qui passera, des lieux même où il est installé à peine. Il est dévoré du besoin de locomotion ; il ne tient pas en place ; il faut qu’il aille et qu’il vienne, qu’il agite ses membres et tienne ses muscles en haleine. Quand ses pieds ne sont pas en mouvement, il faut qu’il remue les doigts ; que, de son inséparable couteau, il taille un morceau de bois, rogne le dos d’une chaise ou écorne une table ; ou, encore, qu’il occupe ses mâchoires à presser du tabac. Soit que le régime de la concurrence lui en ait donné l’habitude, soit qu’il se préoccupe outre mesure de la valeur du temps, soit que la mobilité de tout ce qui l’entoure et de sa propre personne tienne son système nerveux dans un ébranlement perpétuel, soit qu’il soit sorti ainsi fait des mains de la nature, il est toujours affairé, toujours pressé, excessivement pressé. Il est propre à tous les travaux, excepté à ceux qui exigent une lenteur minutieuse. Ceux-là lui font horreur : c’est sa conception de l’enfer. « Nous naissons à la hâte, dit un écrivain américain, nous faisons notre éducation à la course ;