Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
LETTRES SUR L’AMÉRIQUE.

New-York est cependant moins bien ordonné que Londres ou que Liverpool. Il n’y existe rien dans le genre des grands Docks ou du Commercial House.

Les mœurs sont celles d’une société travaillante et agissante. À quinze ans, un homme entre dans les affaires ; à vingt-un, il est établi, il a sa ferme, son atelier, son comptoir ou son cabinet, son industrie enfin, quelle qu’elle soit. C’est aussi l’âge où il prend femme ; à vingt-deux ans, il est père de famille, et par conséquent il a un puissant aiguillon pour s’exciter au travail. Il n’y a ici de considération que pour celui qui a une profession, et, ce qui est à peu près la même chose, pour celui qui est marié, pour l’homme enfin qui est membre actif, directement utile de l’organisme social, qui contribue pour sa part à augmenter la richesse publique, en créant, soit des choses, soit des hommes. L’Américain est élevé dans cette idée, qu’il aura un état, qu’il sera agriculteur, artisan, manufacturier, commerçant, spéculateur, médecin, homme de loi ou d’église, peut-être tout cela successivement, et que, s’il est actif et intelligent, il arrivera à l’opulence. Il ne se conçoit pas sans profession, lors même qu’il appartient à une famille riche, car il ne voit point de gens de loisir autour de lui. L’homme de loisir est une variété de l’espèce humaine dont l’homme du nord, l’Yankee, ne soupçonne pas l’existence ; puis il sait que, riche aujourd’hui, son père pourra être ruiné demain. Le père d’ailleurs est dans les affaires, selon l’usage, et ne se dessaisit pas de sa fortune : si le fils en veut avoir une présentement, qu’il se la fasse !

Les habitudes sont celles d’un peuple exclusivement travailleur. Du moment où il se lève, l’Américain est au travail. Il s’y absorbe jusqu’à l’heure du sommeil ; il ne permet point aux plaisirs de venir l’en distraire ; les affaires publiques seules ont le droit d’enlever quelques momens à ses affaires privées. L’instant des repas n’est point pour lui un délassement où il retrempe son cerveau fatigué, au sein d’une intimité douce. Ce n’est rien de plus qu’une désagréable interruption à sa besogne ; interruption qu’il accepte, parce qu’elle est inévitable, mais qu’il abrège le plus possible. Si la politique ne réclame point, le soir, son attention ; s’il n’est convoqué à aucune délibération, à aucune prière, il reste chez lui pensif et l’œil fixe, récapitulant les opérations du jour,