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L’Espagne, il est vrai, perdrait les deux insignifiantes alcabalas que lui paient Alava et Guipuzcoa, ainsi que les donativos qu’elle mendie quelquefois en Biscaye. Mais, en revanche, ne se délivre-t-elle pas des dépenses énormes qu’exigeraient la soumission et la garde des provinces insurgées ? Ne peut-elle, en signant la paix, licencier les trois quarts de l’armée ruineuse qu’elle entretient ? N’est-elle pas sûre enfin d’étouffer le carlisme, qui n’a d’autre foyer puissant, d’autre place d’armes que ces provinces, et qui aurait déjà cessé d’être, s’il n’eût prêté son nom à une cause qui ne devait en invoquer d’autre que celui de la liberté ?

Faisant abstraction des intérêts de l’Angleterre, qui n’a point d’objection sérieuse à présenter contre un tel moyen de réaliser la pacification qu’elle désire, et de ceux des cours du Nord, dont il faudrait hardiment repousser les remontrances et braver les menaces, reste à considérer l’intérêt de la France. Par qui pourrait-il être mis en doute ? N’a-t-on pas toujours rangé parmi les avantages de sa position celui d’avoir son flanc couvert par la neutralité suisse ? Le gouvernement actuel n’a-t-il pas donné comme le chef-d’œuvre de sa politique, comme un bienfait et une gloire qui balancent toutes les pertes et toutes les humiliations de 1815, l’établissement du royaume neutre de Belgique sur la partie la plus vulnérable de nos frontières ? La France, garantie à l’ouest par l’Océan, serait couverte au nord par la Belgique, à l’est par la Suisse, au midi par la confédération biscayenne. Cet avantage compléterait sa position défensive.

Sans doute, il est un peu tard, et la solution de la guerre, par cette voie pacifique, eût été plus facile il y a deux ans, un an, quelques mois. Cependant elle est possible encore. Les quatre provinces une fois désarmées et tranquilles, l’armée constitutionnelle aurait bientôt chassé et détruit les bandes carlistes qui se promènent de la Galice au royaume de Valence, comme elle chassait et comme elle aurait détruit, en 1822, les bandes de la Foi, sans l’asile que leur offrait la France. On aurait alors la gloire et le bonheur de rendre la paix à ce malheureux pays d’Espagne, à l’intérêt duquel sont liés tant d’intérêts, et dont les déchiremens peuvent à la fin troubler l’Europe entière. Un si grand résultat mérite au moins qu’on examine la question.


Louis Viardot.