Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/734

Cette page a été validée par deux contributeurs.
730
REVUE DES DEUX MONDES.

Lorsque le conquérant eut divisé les fiefs militaires de l’Angleterre, au nombre de soixante mille, entre ses propres chevaliers et ceux des propriétaires antérieurs qui avaient fait à temps leur soumission, tous les guerriers normands ou français ainsi dotés furent pareillement égaux et indépendans. Ils formèrent une nombreuse oligarchie. La seule différence qui les distinguât, fut le plus ou le moins d’étendue de leurs propriétés personnelles. Cette rude constitution était bien en harmonie avec l’état de la société d’alors. Chaque tenant in capite du roi était tenu de l’assister comme législateur et comme juge dans le grand conseil du royaume. Mais, sous les Plantagenets, une distinction, dont nous n’indiquerons pas les causes, fut graduellement introduite entre les grands et les petits barons. Les premiers furent nominalement convoqués à ce conseil ; les seconds conservèrent indubitablement le droit d’y siéger, mais ce droit tomba peu à peu en désuétude. Ce fut un changement plus grand encore lorsque, sous Édouard Ier, les villes et les comtés commencèrent à envoyer pour députés des hommes indifféremment choisis dans la noblesse inférieure ou même dans les communes. Finalement il fut établi en principe légal que le fils d’un individu une fois convoqué nominalement au conseil héritait du droit d’y assister après la mort de son père, qu’il continuât ou non de posséder la propriété qui avait conféré le privilége originaire. C’est ainsi que le parlement sortit tout formé du conseil. Un petit nombre de familles de la classe noble reçut de la main du roi la dignité d’une noblesse spéciale et plus haute. Tout le surplus fut rejeté dans la classe inférieure. Les dernières distinctions nobiliaires qu’avait pu garder cette masse dédaignée, ne tardèrent pas à s’effacer avec le temps. De là vient qu’en Angleterre, remonteriez-vous même au berceau de la monarchie, vous ne trouveriez point de classes nobles et roturières proprement dites. La seule noblesse légale que nous ayons eue, a été la pairie héréditaire, à laquelle le roi pouvait élever qui bon lui semblait, sans qu’il eût le droit de rétracter ensuite aucun de ses choix. La pairie constituée de cette sorte a été maintenue et accrue par d’innombrables créations. Une grande fortune, les services civils et militaires, le caprice ou la faveur du prince, l’intérêt ministériel, ont été tour à tour les titres qui ont déterminé les nominations. On comprendra maintenant que la pairie, telle qu’elle existe aujourd’hui, ne doit